Faire évoluer les certitudes, inciter au changement: un Forum des hommes pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes au Liban

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Des étudiants de « Lebanese American University » (LAU) de Beyrouth participent au lancement de la Campagne du Ruban blanc. Photo publiée avec l'aimable autorisation d'Oxfam GB

Il est parfois difficile de se rappeler précisément quand notre vie prend des tournants importants. Mais Ali Raad, un professeur d'école secondaire du village libanais de Baalbek, se souvient parfaitement du moment où cela lui est arrivé : c'était lors d'une discussion communautaire organisée par une organisation non gouvernementale (ONG) locale. « Je ne connaissais rien des questions de genre jusqu'à ce que je participe à cette formation » se souvient-il, faisant référence au travail de l'ONG « KAFA (Assez) Violence and Exploitation ». « L'approche de cette organisation m'a aidé à me remettre en question personnellement, ainsi qu'à reconsidérer mes certitudes. D'un seul coup, les fondations de toutes les idées que ma société conservatrice m'avait inculquées se sont mises à vaciller ».

Ali œuvre à la mise en œuvre de cette évolution grce au Forum des hommes de Baalbek. Ce Forum fait partie d'une initiative plus large visant à mobiliser les jeunes hommes sur les questions de violence sexiste, et est géré par Oxfam GB, un bénéficiaire du Fonds d'affectation spéciale des Nations Unies pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes, comme le KAFA, son partenaire local. Pour Ali, le fait de comprendre comment la violence à l'égard des femmes s'inscrit dans un contexte plus large tout en étant un processus de réflexion et de changement personnels lui a permis de dépasser ses propres limites. « Nous avons appris à distinguer différents types de violence. J'ai réalisé que je pratiquais moi-même la violence psychologique » explique-t-il. « Après l'atelier de travail, j'ai effectué des recherches et réalisé que de nombreuses personnes pratiquaient la violence sans en être conscientes ».

Grce au Forum, Ali et son équipe entreprennent de lutter contre les normes sociales profondément enracinées et non remises en question, tout en apprenant le pouvoir du collectif et en se découvrant des qualités de leaders. Ils se réunissent avec d'autres organisations de jeunes hommes, des artisans de la paix, des étudiants et des dirigeants afin de discuter de la violence, et de ses liens avec les notions traditionnelles de virilité. Eux aussi ont repoussé leurs frontières. Une visite effectuée en Inde, dans le cadre d'un échange entre pairs, leur a permis de rencontrer des jeunes hommes travaillant sur des campagnes similaires et à tirer des enseignements de leurs propres expériences.

Le Forum des hommes est aujourd'hui reconnu comme un modèle prometteur, en ce qu'il permet d'ouvrir en permanence des débats sensibles. Bien qu'il ait été initialement conçu pour impliquer des personnes déjà bien en vue, dont des dirigeants religieux et des hommes politiques, ses membres ont adapté leur stratégie au fur et à mesure que leur message prenait racine parmi leurs pairs. « Les agents du changement sont des jeunes et des personnes ayant une influence, tels que les maîtres d'école et les étudiants d'université » explique Ali.

La puissance de son approche collaborative est évidente. Ali se souvient de la réaction des habitants d'un village lors de la projection d'une vidéo réalisé par le KAFA appelée « Latifa et d'autres » et de la discussion qui s'en est suivie. « Les gens pleuraient, et cela a provoqué une véritable révolution dans le village » se remémore-t-il. « Les gens confrontaient leurs opinions avec celles des dirigeants religieux de leur village. Six mois plus tard seulement, parler de la violence à l'égard des femmes est devenu quelque chose de normal ». Le ministère des Affaires sociales a désormais signé un mémorandum d'accord avec le KAFA afin que cette approche efficace soit mise à profit dans deux autres régions du Liban.

Pendant la Campagne du Ruban blanc lancée par KAFA en 2011, les sessions de sensibilisation lancées dans quatre universités de Beyrouth ont impliqué les étudiants, notamment hommes, autour des questions liées à la violence à l'égard des femmes. Photos publiées avec l'aimable autorisation d'Oxfam GB.

Dans le même temps, le programme global d'Oxfam GB et du KAFA a eu un impact sans précédent en 2010, lorsqu'il a lancé la Campagne du Ruban blanc au Liban - la toute première jamais organisée au Moyen-Orient et en Afrique du Nord -, dans le cadre de l'initiative internationale annuelle 16 Journées de mobilisation contre la violence sexiste. La campagne a permis d'attirer l'attention du public sur un projet de loi national s'attaquant à la violence intrafamiliale. Dans ce cadre, les étudiants d'université hommes de quatre universités de Beyrouth ont rédigé des messages vantant les avantages à long terme d'une société exempte de violence sexiste, qui ont été affichés sur des tableaux dans le centre-ville de Beyrouth. La législation sur la violence domestique a été en fin de compte appuyée par 128 membres du Parlement - dont un pourcentage remarquable de 50 pourcent de législateurs hommes - avant les débats parlementaires. S'il est sous examen par un comité parlementaire spécial, le projet de loi bénéficie actuellement d'une mobilisation plus importante que jamais.

Ali demeure réaliste quant au chemin restant à parcourir pour parvenir à une société sans violence. « Il s'agira toujours d'un effort à long terme, car les rôles sociaux sont le fruit de siècles de tradition » souligne-t-il. « Mais la première étape est de sensibiliser les gens à tous les types de violence et de faire en sorte que la virilité violente devienne une honte au sein de notre société ». Tel est le défi qu'Ali, tout comme de nombreux jeunes hommes et femmes autour de lui, s'attachent à relever avec détermination.