Remarques de la Directrice exécutive d’ONU Femmes, Michelle Bachelet, devant le Congrès de la République de Colombie

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Remarques de la Directrice exécutive d'ONU Femmes, Michelle Bachelet, devant le Congrès de la République de Colombie, le 13 septembre 2012.

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Honorable Président du Congrès de la République de Colombie, Sénateur Roy Barreras Montealegre,
Honorable Président de la Chambre, Représentant Augusto Posada,
Madame la Présidente de la Commission juridique sur l'égalité des sexes, Représentante Nancy Denise Castillo,
Honorables sénatrices et représentantes du Groupe des femmes membres du Congrès de Colombie,
Honorables sénateurs et représentants,

De cette tribune, je souhaiterais tout d'abord remercier le gouvernement de Colombie de m'avoir invitée à venir dans votre pays, et à prendre connaissance des nouvelles initiatives qui ont été mises en place sur le plan des questions relatives aux femmes, ainsi que des progrès et défis auxquels votre société est confrontée. Comme toujours, la chaleur et l'hospitalité des Colombiens et Colombiennes m'ont profondément touchée.

J'effectue cette fois ce déplacement en qualité de Directrice exécutive d'ONU Femmes, la nouvelle agence des Nations Unies chargée de défendre les droits des femmes à travers le monde. L'une des premières missions que j'ai entreprises à ma prise de fonctions a été de me rendre dans différentes régions et pays du monde en vue de mettre la question des droits de la femme au premier rang des priorités ainsi que de chercher à réaliser des accords de grande portée avec les divers États et autorités dans des domaines d'importance cruciale pour le développement, tels que l'éradication de la violence sexiste, la promotion de l'autonomisation des femmes et la participation des femmes à la politique.

Ma visite officielle intervient dans le contexte de la présentation des Directives pour la politique publique nationale en faveur de l'égalité des sexes pour les femmes, une initiative politique des plus pertinentes. C'est une chance que l'élan politique donné en faveur d'une paix tangible en Colombie doive désormais relever le défi consistant à intégrer une perspective de genre qui contribuera à faire participer les femmes au processus de paix et à la reconstruction de la société.

Le Congrès de Colombie a joué un rôle crucial quant à la rédaction d'un cadre législatif qui aidera le gouvernement à définir ce que signifie la paix. Un exemple frappant qui vient à l'esprit est tout ce que ce congrès a réussi à réaliser en moins d'un an de débat, lorsqu'il a fourni des termes et conditions précis au sujet de la Loi sur les victimes et la restitution des terres - une législation visant à reconnaître et à chercher réparations pour la souffrance historique infligée aux femmes qui ont été victimes du conflit frappant la Colombie.

Le travail se poursuit toujours avec l'Acte législatif du tribunal militaire, la révision de la Loi sur la justice et la paix et de possibles réglementations touchant le Cadre légal pour la paix - des réglementations qui doivent englober une analyse des droits des femmes non seulement sur le plan de la garantie de tels droits, mais également en incluant ceux-ci dans le cadre des accords de paix.

Dans le passé, la société civile, le Groupe des femmes membres du Congrès de Colombie, et d'autres femmes membres du Congrès ont coopéré ensemble afin que les droits des victimes féminines soient traités dans le cadre de la Loi 1448. Cela constitue un bon point de référence à partir duquel il est possible de progresser afin que le Congrès puisse établir le cadre juridique et politique de la paix - une paix que la Colombie mérite.

Mesdames et Messieurs membres du Congrès de Colombie, la paix ne peut devenir réalité sans participation des femmes. Le peuple colombien, ses hommes et ses femmes, ses entités étatiques et vous-mêmes pouvez compter sur ONU Femmes pour vous aider dans ce processus, en mettant à profit notre expérience et notre travail sur le terrain dans votre pays.

À cet égard, la Colombie a été confrontée au défi majeur consistant à établir la première Politique publique nationale en faveur de l'égalité des sexes pour les femmes, ainsi que les outils nécessaires pour son application.

L'effort participatif déployé par le gouvernement pour permettre la réalisation de ce document - mené à bien par le Bureau pour l'égalité des sexes, avec l'appui substantiel des organisations sociales et locales - doit se traduire par l'allocation d'un financement adéquat pour pouvoir répondre aux besoins et surmonter les défis qui ont été définis.

Ce n'est que grce à un investissement financier substantiel que la politique sera en mesure de transformer la sombre réalité à laquelle les femmes sont confrontées à cause de la pauvreté, des conflits armés, de la violence et de l'exclusion des échelons les plus élevés de la vie publique.

Dans le présent contexte de la discussion et de l'adoption du budget national pour 2013, le Congrès a un rôle crucial à jouer afin que cette proposition soit efficacement menée à bien dans le moyen et long terme. Un tel rôle doit aller au-delà de l'utilisation de toute influence politique, afin que la politique publique ne disparaisse pas à cause des aléas politiques, d'un remaniement ministériel ou d'un changement de gouvernement.

Mesdames et Messieurs membres du Congrès de Colombie,

Ma présence ici aujourd'hui au sein du Congrès revêt un objectif spécifique : la reconnaissance officielle des progrès qui ont été réalisés par le Congrès au niveau législatif relativement à la condition des femmes colombiennes.

Lentement mais sûrement, le travail mené à bien par le Groupe des femmes membres du Congrès de Colombie, le leadership individuel des sénatrices et représentantes, ainsi que l'appui stratégique et inébranlable apporté par de nombreux représentants, a donné naissance à un cadre juridique qui a permis de renforcer les droits des femmes et des jeunes filles de Colombie.

La législation susmentionnée élaborée conformément à la Politique publique nationale en faveur de l'égalité des sexes pour les femmes formera le pilier du développement politique et économique futur du pays. En moins de deux mandats parlementaires, ce Congrès a donné à la société colombienne la Loi sur les mesures de protection globale contre la violence sexiste - renforcée par la suite par une législation visant à éliminer le problème de la violence domestique.

Outre ce qui a été souligné ci-avant, la Colombie est dotée d'une législation reconnaissant l'économie de la santé dans le cadre des comptes nationaux ; des normes existent pour assurer l'égalité des salaires pour les hommes et les femmes ; la Commission juridique sur l'égalité des sexes a été créée par la loi ; grce à la réforme politique, un quota de représentation démocratique sur les listes électorales des partis politiques a été approuvée pour les candidats cherchant une fonction élective. Ce quota a été appliqué pour la première fois durant les dernières élections locales.

Dernier point, et non le moindre, le gouvernement national a décidé de la rédaction d'une politique publique pour les femmes par l'intermédiaire de son Plan de développement. La participation politique continue de constituer un défi majeur pour la plupart des pays d'Amérique latine. Il est crucial de comprendre l'importance de l'établissement de quotas sur les listes des partis politiques pour les candidats cherchant une fonction élective, comme cela a été le cas pour la Loi 1475 de 2011, dans laquelle un tel quota a été inclus par le Congrès.

Il est important que le Congrès, les partis politiques et l'ensemble des citoyens consacrent le temps nécessaire à l'application de ce quota, afin que celle-ci puisse donner les résultats attendus tant au cours des prochaines élections au congrès que lors des élections locales ultérieures.

Comme cela a été démontré dans d'autres pays, une telle mesure est utile pour permettre à l'État de réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement et respecter les termes de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) en ce qui concerne la démocratie participative.

On ne doit pas perdre de vue le fait que les quotas ne sont pas seulement une mesure temporaire qui peut être utilisée pour accélérer la participation pleine et équitable des femmes à la gouvernance à tous les niveaux et le leadership des femmes dans tous les processus de prise de décisions. Ce mécanisme temporaire a également un objectif fondamental : dépasser le seuil de 30 pour cent pour réaliser la parité complète.

Pourtant, 50 pour cent est le pourcentage réel qui reflète le niveau de représentation dont les femmes ont besoin, puisqu'elles constituent la moitié de la population totale de la Colombie.

De même, il est crucial de promouvoir les droits économiques des femmes en tant que facteur nécessaire pour pouvoir surmonter les inégalités et la pauvreté en Colombie. Dans ce cas, le projet de législation visant à stimuler les « locomotives économiques » proposé par le gouvernement mérite une mention spéciale.

Par rapport à cette question, une occasion se présente au niveau du débat à venir sur le projet de Loi sur le développement rural et la consolidation du droit d'accès aux terres et aux moyens de production pour les femmes vivant dans les régions rurales.

Un pays doté d'une base agricole solide tel que la Colombie doit commencer par reconnaître et mettre fin aux conditions précaires des femmes vivant en milieu rural, caractérisées par la pauvreté et le manque d'accès aux services publics, notamment en ce qui concerne l'éducation et la santé. Les femmes vivant en milieu rural apportent une énorme contribution à la société sur le plan du développement rural et de la sécurité alimentaire.

Tout aussi importants sont les défis auxquels va être confronté le Congrès en matière de violence sexiste, dont la plupart sont des questions complexes auxquels l'État fait face dans ses efforts visant à réconcilier sa politique contre le crime et les actes graves de violence qui sont perpétrés.

Je fais référence aux faits concrets tels que les viols qui sont commis dans le cadre des conflits armés, les fémicides et les actes de brûlure des femmes à l'acide. Ces dernières questions doivent être traitées dans le cadre des principes de l'État de droit, car liées à des questions sociales.

Toutefois, ce travail de titan à l'ordre du jour législatif du Congrès aujourd'hui, et qui exige des efforts et une attention particulière de la part de la Commission juridique sur l'égalité des sexes, ne peut être mené à bien d'une manière isolée. Il est clair que l'on doit utiliser les « ponts » existants pour impliquer la société civile, les syndicats, les magistrats, les médias, les femmes elles-mêmes et tous les partenaires sociaux, en tant que facteurs-clés de toute discussion et définition d'une voie plus équitable pour la société colombienne.

Tous ces défis auxquels se trouve actuellement confronté le Congrès de la République de Colombie font partie d'une manière ou d'une autre des priorités stratégiques que nous avons stipulées pour ONU Femmes à travers le monde, et qui incluent l'autonomisation économique des femmes, le leadership féminin et la participation des femmes à la politique, l'éradication de la violence sexiste, le travail visant à défendre les droits des femmes dans les situations de conflits et postconflictuelles, ainsi que l'inclusion de la question de l'égalité des sexes dans le cadre de la planification nationale pour le développement de nos pays respectifs.

Suivre ces objectifs est une question de justice, mais constitue également une politique intelligente à adopter en vue d'améliorer la qualité de nos démocraties, notre qualité de vie, le bien-être de la société et la création de richesse. L'élimination des inégalités entre les sexes aidera à éradiquer toutes les autres inégalités.

L'autonomisation des femmes et l'égalité des sexes ne constituent pas une politique sectorielle, mais plutôt une politique globale qui doit orienter toutes les autres politiques. Elle est au cœur de tout ordre du jour politique, indépendamment de toute idéologie particulière.

L'égalité des sexes est un défi à surmonter qui exige un large consensus de toutes les entités politiques, un feuille de route et des changements structurels sous-tendus par une volonté politique et la ferme conviction que sans la moitié de la population colombienne, c'est-à-dire les femmes, la Colombie ne peut pas progresser en tant que pays.

Nous savons que lorsque davantage de femmes participent au cadre institutionnel, la représentation, la transparence et la responsabilité sont plus importantes. Pour cette raison, notre mandat doit viser à renforcer la démocratie, à assurer que nos systèmes politiques représentent pleinement les hommes et les femmes de chaque pays, que de tels systèmes s'attaquent réellement aux problèmes des hommes et des femmes de chaque pays, et le font d'une manière participative.

Le débat, les idées et l'action doivent être au premier plan de la manière dont nous gérons nos affaires. À ONU Femmes, nous avons décidé d'aller encore plus loin et de fixer des objectifs concrets et mesurables.

Outre les priorités mentionnées ci-dessus, nous proposons pour discussion par le Conseil d'administration que chacune des priorités susmentionnées mènent à des résultats tangibles sur la base de quoi nous pouvons évaluer notre travail sur une période de six ans. Par exemple, vers la fin 2017, nous avons comme objectif concret d'augmenter de 30 pour cent le nombre de représentantes au sein des parlements nationaux et des conseils municipaux, dans au moins 30 pour cent des pays où les Nations Unies mènent leurs programmes.

ONU Femmes est présente en Colombie depuis 2004. Tout d'abord en tant que Fonds de développement des Nations Unies pour la femme - UNIFEM - et, à partir de 2010, en tant qu'agence autonome du système des Nations Unies, appelée ONU Femmes. Depuis lors, nous travaillons dans le cadre du Programme sur les femmes, la paix et la sécurité, dont l'objectif est d'inclure les perspectives de genre dans le traitement de la prévention des conflits, des efforts de consolidation de la paix et des processus postconflictuels, tout en considérant que le programme de développement est directement lié à la promotion et à la protection des droits des femmes.

Le mandat du bureau de pays d'ONU Femmes en Colombie peut être clairement identifié dans l'objectif susmentionné : d'abord, mener des efforts de plaidoyer afin d'augmenter les mesures de protection introduites pour garantir les droits des femmes victimes des conflits et de la violence sociale et, en second lieu, pour travailler en faveur du renforcement de la participation des femmes aux efforts de consolidation de la paix aux niveaux local, national et international.

Depuis le début 2011, le bureau de pays d'ONU Femmes en Colombie a intensifié ses efforts dans les territoires où les femmes sont les plus victimes de la violence, de la pauvreté, des conflits et des déplacements, par le biais d'accords interinstitutions avec d'autres agences appartenant au système des Nations Unies.

En ce sens, le travail d'ONU Femmes s'est étendu dans les régions qui favorisent sa participation dans les forums politiques stratégiques ainsi que l'inclusion d'approches tenant compte des questions de genre dans le cadre des processus de justice transitionnelle et du système de justice.

Nous avons décidé d'appuyer les mécanismes institutionnels récemment créés pour permettre l'application de de la Loi sur les victimes et la restitution des terres. Nous continuons de focaliser nos efforts sur la fourniture d'un appui technique, afin d'intégrer des perspectives de genre dans l'Unité de protection, l'Unité d'appui aux victimes, l'Unité de restitution des terres ainsi que le Centre de la mémoire historique.

Grce à une table ronde sur le genre et la coopération internationale en Colombie, organisée en collaboration avec le ministère de l'Intérieur, nous avons conçu des outils techniques pour aider les femmes à occuper des postes de prise de décisions, afin d'assurer que l'implication de ces dernières en politique est effectuée d'une manière efficiente et efficace, et d'encourager ainsi davantage de femmes à être présentes aux échelons supérieurs du pouvoir.

Dans le même esprit, nous avons travaillé avec les femmes membres du Congrès colombien et, plus spécifiquement, de la Commission juridique sur l'égalité des sexes, en vue d'assurer que cette législature place les questions de genre à l'ordre du jour et mette en œuvre des législations reconnues au niveau international et respectant les principes de non discrimination et d'égalité des chances.

Nous nous intéressons également aux droits économiques, et conformément à ces derniers, nous avons appuyé des études telles que celles qui a été menée à bien par l'ancienne ministre et sénatrice Cecilia López Montaño, par le biais de son groupe de réflexion. Cette étude vise à inclure une nouvelle discussion sur le développement dans le domaine public. Un débat positionnant le principe d'équité comme étant un préalable essentiel pour la croissance économique et sociale.

Nous sommes en train de renforcer l'appui que nous apportons au ministère du Travail, afin qu'une régulation de la Loi sur l'égalité des salaires puisse être introduite. Nous accompagnons également les efforts déployés au niveau du programme visant à promouvoir des conditions plus inclusives pour les femmes sur le marché du travail ainsi que des politiques équitables pour ces dernières au sein des entreprises.

Enfin, je souhaiterais vous informer qu'en ce qui concerne la planification et la budgétisation, nos principaux efforts institutionnels ont principalement visé à renforcer les capacités du Bureau pour l'égalité des sexes dans ses tentatives de promouvoir l'élaboration participative des Directives pour la Politique publique nationale en faveur de l'égalité des sexes pour les femmes.

Mesdames et Messieurs honorables membres du Congrès de Colombie,

Je souhaiterais conclure comme j'ai commencé, en remerciant ce corps législatif pour tout le travail et la responsabilité qu'il a assumés sur le plan des droits des femmes en Colombie. À ONU Femmes, nous souhaiterions réaffirmer notre détermination à renforcer notre appui, de manière à ce que dans les 30 prochaines années, des progrès encore plus importants puissent être accomplis dans la lutte pour éradiquer toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et pour réaliser une égalité réelle et durable.

En des moments comme celui-ci où la question de la paix est en cours de discussion, une participation pleine et équitable des femmes est la garantie d'une paix durable, d'une démocratie solide et d'un développement durable.

Merci mille fois de votre attention.

Visite de Michelle Bachelet en Colombie

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