L’abolition du Sang Chatti : le Pakistan s’emploie à prévenir le mariage de compensation et autres formes de violence à l’égard des femmes

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Izzo Bibi*, une fillette de sept ans, vit dans un petit village de la province de Sindh dans le Sud du Pakistan. Son père n’a pas les moyens de l’envoyer à l’école, mais sa mère lui a enseigné ses méthodes de broderie traditionnelle Sindhi. Sheeno*, sa cousine, lui a appris de nouveaux motifs de broderie.

Lorsque l’oncle paternel d’Izzo a assassiné son voisin, le faislo (également appelé Jirga, l’assemblée tribale de prise de décisions) a demandé deux filles de la famille du meurtrier comme Sang Chatti (mariage de compensation). À seulement 12 ans, Sheeno a été emmenée de force par la famille lésée. On ne lui a même pas laissé le temps de rassembler ses affaires. Le but était de punir la famille en la traitant durement. Aucune cérémonie de mariage n’a été organisée. Il n’y a eu aucune musique, aucune joie, seuls les pleurs de Sheeno lorsqu’on l’a séparée de sa famille.

Pakistan sang-chatti

Izzo Bibi âgée de sept ans a dû apprendre de nouveaux motifs de broderie de sa mère depuis que sa cousine Sheeno a eté donnée en mariage forcé. Photo: Samar Minallah Khan
D’après les rares nouvelles reçues par sa mère, sa fille en était réduite à accomplir les tâches ménagères, à porter des vêtements usés, à marcher nu-pieds et à vivre la vie d’épouse d’un homme de 40 ans. Aujourd’hui, Sheeno est condamnée à vivre une existence marquée par les abus physiques et émotionnels, et à être jusqu’à la fin de ses jours soumises aux taano (insultes), en raison du fait qu’elle est la fille d’un meurtrier.

 

La décision du Jirga n’avait pas encore été pleinement mise en application, et les souffrances de Sheeno étaient estimées insuffisantes pour compenser le crime. Les aînés locaux ont décidé qu’Izzo Bibi devait également être livrée à la famille lésée en tant que compensation.

Après avoir été directement témoin du destin de Sheeno, Izzo a vu ses craintes grandir lorsque ses amis lui ont indiqué qu’elle serait envoyée comme compensation, pour devenir la femme d’un homme de 28 ans. Anticipant ce drame, le père d’Izzo l’a envoyée hors du foyer pendant quelques jours.

Le père d’Izzo a en outre décidé de ne pas obéir au décret tribal, mettant ainsi sa vie en péril en s’élevant contre la coutume tribale. Avec un avocat local, il a saisi la Cour suprême du Pakistan. Son affaire est passée devant la Cour suprême en 2011, laquelle a ordonné à la police d’arrêter les membres de la Jirga et de suspendre sa décision. Malheureusement pour Sheeno, cette aide est arrivée trop tard. Elle a refusé de retourner chez ses parents, par peur des conséquences.

Jirgas et Panchayat

Les systèmes juridiques traditionnels parallèles continuent d’exister au Pakistan. Les Jirgas, le système informel de règlement des différends, également connu sous le terme de Panchayats, sape l’autorité de l’État, ces systèmes de justice informels continuant d’exister même après que les tribunaux nationaux les aient déclarés illégaux. Les femmes et les filles se trouvent souvent en bout de chaîne des actes d’injustice et de violation entrainés par ces mécanismes. Le grand public a souvent le sentiment que le système de justice officiel a des failles, et qu’il n’est pas en mesure de rendre justice de manière rapide. La majorité de la population continue par conséquent d’avoir recours à ces systèmes de justice informels pour résoudre les différends, notamment dans les régions rurales.

Dans le cadre de ce système, les femmes et les filles n’ont généralement pas leur mot à dire dans les décisions, les membres masculins s’exprimant en leur nom et rendant des jugements qui ont des conséquences sérieuses sur leurs vies.

Comme 186 autres pays, le Pakistan est un État partie à la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), également connue comme la déclaration internationale des droits de la femme. Le Comité de la CEDAW, qui contrôle le respect de ce traité international sur les droits fondamentaux, a examiné pour la dernière fois les progrès accomplis à cet égard par le Pakistan en 2007. Dans les observations finales qu’il a adoptées, le Comité a demandé instamment à l’État du Pakistan de mettre en application le jugement de la Cour suprême, en appelant à l’élimination de forums tels que les Jirgas. Il a également instamment demandé au gouvernement d’assurer que les membres de tels forums qui participent aux décisions constituant des actes de violence à l’égard des femmes soient tenus pour responsables.

Au moment où le Pakistan se prépare à soumettre son quatrième rapport périodique à l’examen du Comité de la CEDAW, le 12 février 2013, l’État détaille ce qui a été fait pour mettre en œuvre les recommandations du Comité de la CEDAW, y compris sur le plan de l’élimination des Jirgas et de la violence à l’égard des femmes.

Les organisations de la société civile, dans les rapports non officiels préparés pour cette session de la CEDAW, ont demandé instamment au gouvernement d’assurer que la législation, telles que les lois interdisant les Jirgas et les Panchayat, soit strictement appliquée, et que tous les niveaux gouvernementaux, tant au plan national que provincial, soient tenus informés des engagements pris par les États en vertu de la CEDAW. Elles demandent également instamment au gouvernement d’assurer que la Commission nationale de la condition de la femme (NCSW) soit en mesure de s’acquitter efficacement de son mandat et de ses fonctions, et que ses recommandations soient examinées par le Parlement en temps voulu.

ONU Femmes aide les gouvernements autour du monde à préparer les rapports de la CEDAW. Au Pakistan, ONU Femmes a fourni un appui technique initial au gouvernement et à la Commission nationale, afin de les aider à contrôler les engagements pris par le pays en vertu de la CEDAW et le rapport.

Suite à ces efforts, une unité de la CEDAW a été pour la première fois mise en place au Pakistan en 2009, au sein du ministère du Développement de la femme. Cette année également, des Comités provinciaux de la CEDAW (CPC) et un Groupe ministériel interprovincial (IPMG) ont été créés pour faciliter un meilleur suivi et contrôle de la mise en œuvre des observations finales du Comité de la CEDAW. Après que des efforts continus aient été déployés par la société civile et qu’ONU Femmes ait apporté un appui technique, la NCSW a déposé une requête contre le système de Jirga/Panchayat devant la Cour suprême du Pakistan en 2012.

Grâce aux efforts inlassables déployés par les groupes de la société civile du Pakistan, et aux initiatives lancées par ONU Femmes, un projet de loi de Prévention des pratiques discriminatoires à l’égard des femmes, qui interdit les mariages forcés, a également été adopté en 2011. Afin de renforcer l’information sur cette loi, les partenaires appuyés par ONU Femmes ont décidé d’organiser des ateliers de formation et de lancer des activités de sensibilisation sur la législation existante – par exemple sur le projet de loi sur la Prévention des pratiques discriminatoires à l’égard des femmes – à l’intention des agences d’application de la loi, des docteurs, des avocats ainsi que du grand public.

Ces lois, qui doivent être mises en œuvre rapidement, peuvent jouer un rôle très significatif. Dans le cas d’Izzo, elles ont donné à sa famille le courage de remettre en question les coutumes, et ont permis d’éviter à celle-ci de ne pas se retrouver condamnée à perpétuité au nom des traditions locales.

Izzo n’a plus peur désormais, et ne reçoit plus de tanoo (insultes) de la part des villageois en raison du fait qu’elle servait de compensation. Elle bénéficie de l’amour et de la protection de ses parents, qui ont refusé de la livrer en guise de compensation.

Sa mère continue de lui apprendre de nouveaux motifs de broderie. Elle a brodé une housse d’oreiller à l’intention de sa cousine Sheeno.

*Les noms des fillettes mentionnées dans ce récit ont été modifiés en vue de protéger leur identité


[i] Concluding comments of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women: Pakistan, 11 June 2007 (recommendations 24 and 25). Pakistan has been a Party to the Convention since 1996.

[ii]Des Comités provinciaux de la CEDAW ont été créés pour renforcer la sensibilisation et l’appropriation de l’agenda en matière d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes. Comprenant des ministères ou départements-clés, des universitaires, et des OSC, ils contrôlent l’application de la CEDAW dans leurs provinces respectives et identifient des priorités et stratégies.

[iii] Les IPMG sont des groupes de ministres et de secrétaires provinciaux travaillant au développement des femmes. Ils ont été lancés le 8 avril 2009. Ils organisent des réunions trimestrielles dans chacune des capitales provinciales à tour de rôle. Il existe cinq IPMG.

Liens connexes:

Entretien avec son excellence Khawar Mumtaz, Présidente de la Commission nationale de la condition de la femme du Pakistan

Khawar MumtazDans le cadre du quatrième rapport périodique du Pakistan au Comité CEDAW à Genève le 12 Février, ONU Femmes s’est entretenu avec la Présidente de sa Commission nationale de la condition de la femme (NCSW).

Le #Pakistan est en passe de légiférer sur une interdiction du mariage de compensation, le Sang Chattiowl.li/hF7xX

— ONU Femmes (@ONUFemmes) February 13, 2013