Le siècle de l’inclusion et de la pleine participation des femmes : Conférence Kapuscinski par Michelle Bachelet

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Conférence Kapuscinski: Michelle Bachelet, Secrétaire générale adjointe et Directrice exécutive d’ONU Femmes : « Le siècle de l’inclusion et de la pleine participation des femmes ». Dublin, Irlande, le 21 février 2013.

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Je suis très heureuse d’être parmi vous ce soir à Dublin sur le campus de votre prestigieuse université.

Je remercie le Ministre Costello d’avoir trouvé le temps, malgré son emploi du temps chargé, de participer à cette réunion. Je lui dis aussi mon appréciation pour les remarquables observations liminaires qu’il a formulées et pour la présidence de cet événement important qu’il assure personnellement.

Je remercie également l’Université de Dublin, la Commission européenne et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) de m’avoir invitée à cette manifestation pour y prononcer la conférence renommée Kapuscinski.

Je remercie chaleureusement le Président Brady, le Conservateur et Vice-président Rogers, le Professeur Farrell, le Professeur Walsh, Mme Nolan et M. Szczycinski de leur hospitalité.

Juste avant de venir ici, je me trouvais à Copenhague à l’initiative des Gouvernements danois et ghanéen afin de mener des consultations globales sur les inégalités dans le cadre des débats en cours portant sur le programme de développement pour l’après 2015.

Nous faisons face à une question clé pour notre époque : les inégalités.

Nous avons entamé le XXIème siècle avec de grandes espérances. Nos espoirs reposaient sur les objectifs du Millénaire pour le développement, les OMD, qui devaient tracer une voie plus pacifique et plus prospère pour tous. Mais au début même du XXIème siècle, des événements mondiaux, des catastrophes naturelles, des crises économiques et financières et des conflits graves ont secoué le monde et nous sommes maintenant aux prises avec des mutations et des incertitudes très marquées.

Alors, aujourd’hui, je tiens à partager avec vous certaines réflexions clés quant aux possibilités que j’entrevois d’édifier ensemble un XXIème siècle qui fasse avancer l’égalité, la paix et le développement.

Mais pour y parvenir, je prétends – et c’est là mon postulat de base – que nous devons avant tout renforcer la confiance entre les personnes, leurs dirigeants et les institutions, ainsi que les engagements qui les lient. Nous devons nous montrer inclusifs.

Je pense que cette question trouverait un écho chez l’homme au nom duquel nous nous réunissons aujourd’hui, l’écrivain polonais, Ryszard Kapuscinski.

Par le biais de son remarquable travail de journaliste, il a étudié la dynamique du pouvoir et les rapports de force toujours changeants mais si fondamentaux que nous appelons le contrat social, cette relation fragile et pourtant si indispensable à la stabilité et à la prospérité – le contrat qui existe entre ceux qui sont gouvernés et ceux qui gouvernent.

De nos jours, le scepticisme qui entoure la politique, l’absence de confiance qui règne envers les dirigeants et les institutions, et l’élaboration de politiques réactives plutôt que proactives semblent être les traits distinctifs de notre époque.

Les nouvelles technologies, les médias sociaux, les questions sur les différents modèles de croissance adoptés par les sociétés, la rapidité toujours croissante des événements et les relations toujours plus complexes au niveau mondial donnent l’impression que ce sont les événements qui influent sur nous et non pas nous qui influons sur les événements.

Il fut un temps où le leadership du haut vers le bas était notre leitmotiv. Il fut un temps où l’on croyait dans le pouvoir et l’autorité d’un dirigeant.

S’il est une chose dont je suis convaincue, c’est que pour gérer les difficultés complexes de notre époque, les dirigeants doivent avant tout écouter toutes les composantes de la société, les faire participer activement et impliquer les personnes dans le règlement des problèmes.

En tant que Directrice exécutive fondatrice d’ONU Femmes, mais pas seulement en raison de mes fonctions, cela veut dire qu’il faut inclure la moitié de la population mondiale qui a été historiquement laissée pour compte : les femmes.

Je dis donc que le XXIème siècle sera le siècle de l’inclusion et que cette inclusion doit se traduire par le leadership et la participation égalitaires des femmes.

Nous n’atteindrons pas les objectifs que nous nous sommes fixés en matière d’édification de démocraties composées de véritables citoyens, de réalisation d’une paix et d’un développement viables qui profitent à tous si nous laissons certains de côté.

Cela signifie que nous devons tous nous unir si nous voulons réaliser les aspirations de la Charte de l’ONU.

Ce n’est qu’en incluant tout le monde et en nous unissant tous que nous pourrons faire face aux graves problèmes liés aux droits de l’homme, à la guerre et à la paix, à la grande pauvreté et aux immenses inégalités et besoins humanitaires, que ce soit à Gaza, au nord du Mali, en Somalie, au Soudan, en Afghanistan, au Congo ou en Syrie.

Il y a plus d’un quart de siècle, Ryszard Kapuscinski a dit : « La société veut participer de plus en plus au règlement des problèmes mondiaux, elle veut être active, personnellement présente ».

Le désir d’être impliquée, active et personnellement présente n’est pas seulement un souhait personnel ou une tendance actuelle. C’est un désir qui remonte aux fins fonds de l’humanité et a fait couler beaucoup d’encre ; c’est aussi un droit fondamental énoncé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les traités internationaux.

Les droits aux libertés d’opinion et d’expression, de réunion et d’association pacifiques, et le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays sont énoncés dans les articles 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Ces droits ont été au cœur des mouvements démocratiques des XXème et XXIème siècles.

Ce sont ces droits qui ont entraîné des changements historiques. Ce sont ces droits qui ont agité le monde arabe alors que des millions d’hommes et de femmes descendaient dans la rue pour demander le changement.

Dans d’autres régions du monde, ceux qu’on appelle les 99 pour cent ont fait entendre leur voix grâce au mouvement mondial Occupy en protestant contre les inégalités économiques, politiques et sociales.

Aujourd’hui, comme jamais auparavant, les personnes peuvent se réunir en plus grand nombre et bien plus rapidement sans même devoir traverser des frontières, grâce à leurs téléphones mobiles et aux médias sociaux, en interagissant les unes avec les autres, avec les dirigeants et les institutions, par des moyens si nouveaux que peu d’entre nous auraient pu se les figurer il y a seulement quelques décennies.

Mais avons-nous appris à exploiter pleinement le potentiel positif et bénéfique de nos progrès technologiques pour faire progresser le fondement de l’inclusion ?

Eh bien, j’ai de mauvaises nouvelles pour vous : dans tous les pays, dans toutes les régions, des personnes n’ont pas la possibilité de s’impliquer activement dans la vie publique. Ces personnes sont exclues en raison de leur race, de leur niveau de revenu, de leurs origines ethniques, de leur âge, de leur religion, du lieu où elles se trouvent et de leur sexe.

Mesdames et messieurs,

Mon expérience dans la fonction publique m’a enseigné que nous devons faire fond sur nos expériences. Je vous expose donc deux situations concrètes, deux possibilités d’œuvrer à l’inclusion.

Je vais illustrer ces points par les possibilités : les OMD et les débats portant sur le programme pour l’après 2015 qui nous concernent tous, et ce que nous avons appris grâce à nos activités sur les liens entre les femmes, la paix et la sécurité.

Nous exprimons nos vives préoccupations face à la violence qui secoue la Syrie et le Mali, à la reprise des affrontements et aux déplacements des populations à l’est de la RDC, au Soudan et au Soudan du Sud, à l’insécurité continue en Irak, en Afghanistan et en Somalie, à la complexité des processus de transition dans le monde arabe, et au relèvement précaire de nombreux pays sortant d’un conflit où les missions de l’ONU préparent actuellement la réduction de leurs forces ou leur retrait.

Mais nombre d’entre nous sont particulièrement préoccupés par l’impact de ces conflits sur la vie et les droits des femmes et par le gaspillage du potentiel de consolidation de la paix dont dispose la moitié de la population.

Le pourcentage des femmes participant aux négociations de paix ou présentes dans les composantes de police ou militaires des missions de la paix demeure inférieur à 10 pour cent.

Il en est de même pour le pourcentage des dépenses budgétaires post-conflit consacrées à l’autonomisation des femmes et à la promotion de l’égalité des sexes.

Pourtant des millions de femmes et de filles sont déplacées de leurs terres, agressées sur le chemin des camps de réfugiés, privées d’éducation, mariées précocement, ciblées et tuées parce qu’elles défendent les droits des femmes, violées dans des centres de détention ou au sein de leurs communautés, condamnées à une vie de misère et privées de leurs moyens de subsistance et de tout espoir.

Nous promulguons des lois, adoptons des résolutions et rédigeons des conventions pour protéger leurs droits, mais seulement un pourcentage dérisoire d’entre elles obtient justice et réparations pour les crimes qui ont été commis contre elles.

Nous nous félicitons des organisations féminines locales pour le rôle qu’elles jouent dans la promotion de la paix et la réconciliation des communautés, mais nous ne semblons pas les avoir suffisamment appuyées et autonomisées.

Les contributions des femmes à l’instauration de la paix et à la démocratisation ne les conduisent pas à assumer des rôles de leadership au sein des institutions décisionnelles.

Pendant les cinq élections parlementaires organisées en 2011 dans les pays dotées de missions de l’ONU, on a assisté soit à des baisses minimes ou à des augmentations modestes du nombre de femmes élues. Il en est résulté que les femmes occupaient environ 10 pour cent des sièges parlementaires. Sur les 11 accords de paix signés en 2011, seulement deux d’entre eux incluaient des dispositions spécifiques concernant les femmes.

Dans le même temps, nous avons aussi un certain nombre de possibilités d’améliorer notre bilan. Je vais en citer cinq.

Premièrement, le Plan d’action en sept points du Secrétaire général sur les femmes et la consolidation de la paix fixe les engagements les plus tangibles à ce jour à l’échelle de tout le système des Nations Unies visant à donner aux femmes la possibilité de participer à la médiation, à la planification post conflit, au financement, à la gouvernance, à l’instauration de l’état de droit et au relèvement économique, et de jouer un rôle de chef de file dans toutes ces activités.

Ce plan comprend des engagements pour qu’au moins 40 pour cent des bénéficiaires des programmes de relèvement économique post conflit soient des femmes et qu’au moins 15 pour cent des fonds consacrés aux programmes gérés par l’ONU à l’appui de la consolidation de la paix soient attribués à des actions en faveur de la promotion des droits des femmes et de l’avancement de l’égalité des sexes.

Un certain nombre d’organismes onusiens ont actuellement recours aux marqueurs de genre qui sont susceptibles d’augmenter les dépenses liées à l’égalité des sexes dans les pays sortant d’un conflit et ayant besoin de secours humanitaires.

Deuxièmement, plus que jamais auparavant, l’ONU s’efforce actuellement de renforcer la disponibilité, les capacités de déploiement et la pertinence des capacités civiles dans le cadre de la consolidation de la paix. À travers ce processus, nous sommes en train de réaliser le premier examen intégré quant à la manière dont les connaissances sexospécifiques sont structurées et appliquées dans les situations post conflit.

Troisièmement, le Département des opérations de maintien de la paix et le Secrétaire général sont déterminés à accroître, à un rythme plus soutenu, le nombre de femmes participant aux missions de maintien de la paix et occupant de hautes fonctions.

Quatrièmement, les gains importants qui peuvent être obtenus grâce à l’autonomisation des femmes en termes de paix et de relèvement apparaissent de plus en plus clairement.

Dans de nombreux pays se relevant d’un conflit, 40 pour cent des foyers sont dirigés par une femme et les études montrent que les femmes consacrent jusqu’à 90 pour cent de leur revenu à l’éducation, la santé et la nutrition des enfants pendant et après le conflit.

Dans les pays sortant d’un conflit soumis à des quotas électoraux de genre, les femmes représentent environ 34 pour cent des parlementaires.

Élément encore plus prometteur, la représentation politique des femmes s’accroît lorsque des quotas de genre sont utilisés, ce qui signifie qu’une fois des quotas institués au cours d’une élection, les femmes obtiennent des résultats encore meilleurs à l’élection suivante.

Nous n’ignorons pas non plus que plus il y a de femmes dirigeantes qui servent de modèles aux filles, plus les aspirations et les espoirs de ces dernières augmentent.

Porter le recrutement des enseignantes à plus de 20 pour cent des effectifs entraîne une augmentation des inscriptions des filles à l’école et, dans certains cas, de meilleures performances scolaires.

Porter la proportion des agents de police femmes à plus de 30 pour cent entraîne une augmentation du taux de signalement des violences sexuelles et sexistes.

Ce sont là des faits. Des faits qui attestent de progrès, mais ces progrès ne sont pas suffisants. Ces faits laissent entrevoir des possibilités et attestent du caractère essentiel de l’intégration des femmes dans les activités de consolidation de la paix et de la sécurité et, surtout, de leur maintien.

Ces expériences ne sont pas très différentes des récits de multiples femmes inconnues ayant contribué à la construction de l’Europe au XXème siècle.

Ces faits enseignent des leçons cruciales sur le type de leadership nécessaire.

Permettez-moi de vous donner un autre exemple, celui des objectifs du Millénaire pour le développement et des accords ultérieurs.

Le processus élaboré pour le programme pour l’après 2015 que nous avons lancé donne une possibilité unique de privilégier l’inclusion et de faire avancer l’autonomisation des femmes et l’égalité des sexes.

Au début de cette semaine, les gouvernements danois et ghanéen ont réuni la communauté internationale afin d’aborder la question des inégalités. Les inégalités sont et continueront d’être le grand défi de notre siècle.

Des consultations approfondies ont été menées au niveau mondial sur cette question et nous avons rendu public le rapport final sur les consultations à ce sujet, codirigées par ONU Femmes et UNICEF.

Au Danemark, il ne s’agissait que d’une consultation sur les onze menées sous l’égide des organismes de l’ONU dans le cadre des consultations sur l’après 2015.

Le rapport illustre les résultats de la consultation mondiale publique approfondie qui a été menée de septembre 2012 à janvier 2013 : ceux issus des engagements que nous avons pris avec des nombreuses parties prenantes grâce à des discussions en ligne, ainsi que la synthèse de 176 documents de travail soumis à la procédure de consultation.

Quels sont les enseignements que nous en avons déjà tirés ?

Ces consultations en cours avec la société civile, avec des organisations de défense des droits des femmes et avec des personnes venant du monde entier sont nécessaires et ne doivent pas faire l’objet d’un effort unique.

Étant donné que nous examinons les inégalités, le dialogue et l’inclusion doivent être au cœur de cet examen. Faire participer les personnes au développement n’est pas une procédure formelle, c’est un devoir collectif.

Si nous n’écoutons pas les personnes et si nous ne travaillons pas avec elles, nous ne pourrons pas élaborer, et encore moins mettre en œuvre, un nouveau programme de développement. Les personnes sont les bénéficiaires, elles sont les partenaires du développement.

J’ai dit clairement que le moment est venu d’écouter les femmes, de les faire participer pleinement et de faire de l’autonomisation des femmes et de l’égalité des sexes une priorité du programme de développement pour l’après 2015.

Cela est essentiel non pas parce que je suis la Directrice exécutive d’ONU Femmes, mais parce que les femmes continuent d’être victimes de discrimination dans l’accès à l’éducation, aux emplois et aux biens économiques, et dans la participation aux gouvernements tant local que national.

La violence à l’égard des femmes continue de saper les efforts visant à ces objectifs. De toute évidence, les progrès qui seront accomplis jusqu’à 2015 et au-delà dépendront grandement des succès que nous enregistrerons en matière de lutte contre les inégalités structurelles, d’élimination de la violence, de discrimination à l’égard des femmes et des filles, et de promotion de la justice et de l’égalité.

Pour aller de l’avant, nous avons besoin d’un cadre universel, fondé sur les principes des droits de l’homme, l’inclusion, l’égalité et la viabilité.

Nous disposons désormais de suffisamment de preuves attestant que la promotion de l’égalité des sexes est indispensable pour réduire la pauvreté et les disparités, et faire progresser tous les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

Un siècle de progrès et de bouleversements s’est écoulé, et il apparaît clairement que, dans les sociétés qui respectent l’égalité des sexes, les démocraties sont plus vigoureuses, les économies mieux développées et la paix une priorité.

Pourtant, à ce jour, les discriminations et les abus les plus flagrants sont toujours commis contre les femmes.

Bien que les femmes représentent plus de la moitié de l’humanité, elles sont loin de jouir de droits égaux, de bénéficier de possibilités égales et du même degré de participation et de leadership que les hommes.

Cette exclusion, cette discrimination et cette violence fondées sur le sexe constituent l’un des plus grands obstacles à surmonter pour faire avancer le développement durable.

L’une des principales leçons que nous avons tirées des OMD est que l’accent que nous avons mis sur les chiffres et les moyennes – qui sont certainement également importants – ont détourné notre attention des causes plus profondes et structurelles qui déclenchent la pauvreté et les inégalités.

Nous devons maintenant saisir l’occasion qui se présente à nous de lutter contre les normes culturelles et sociales profondément enracinées, les lois, les pratiques et les politiques discriminatoires qui empêchent les femmes et les filles d’exploiter tout leur potentiel et de contribuer à l’édification d’un monde meilleur pour tous.

Il nous suffit d’examiner deux OMD, l’OMD 3 relatif à la promotion de l’égalité des sexes et l’OMD 5 relatif à l’amélioration de la santé maternelle, pour avoir une idée plus précise de la meilleure manière d’aller de l’avant.

Notre objectif est d’éliminer les inégalités entre les sexes en matière d’éducation d’ici à 2015. Dans trop de pays, les filles continuent d’être laissées pour compte. Si des victoires ont été enregistrées au niveau de l’enseignement primaire, les adolescentes courent le gros risque de ne pas pouvoir achever leurs études secondaires.

De nombreuses contraintes contribuent à ces taux élevés d’abandon scolaire des filles, notamment des pratiques culturelles familiales et sociétales qui entravent l’éducation secondaire des filles, des responsabilités familiales en matière de tâches ménagères et de soins à apporter aux membres de la famille, une préférence marquée pour l’éducation des fils, et les pressions exercées sur les filles pour qu’elles se marient tôt.

En conséquence, seulement 62 pays sur 168 seront en mesure de réaliser l’égalité des sexes en matière d’éducation secondaire d’ici à 2015.

Nous avons compris que le droit fondamental à l’éducation ne sera réalisé qu’en promouvant et en protégeant les droits fondamentaux des filles à tous les niveaux.

En d’autres termes, il ne suffit pas de s’employer à scolariser davantage de filles ; nous devons également relever les défis sociaux et économiques sous-jacents qui empêchent les filles d’aller à l’école. Nous devons nous attaquer aux racines de la discrimination et accroître l’égalité des droits et des chances pour les deux sexes.

Les inégalités relatives aux taux de mortalité maternelle illustrent également clairement les inégalités entre les sexes.

Bien que les décès maternels aient baissé de 47 pour cent pendant la dernière décennie, nous avons appris la nuit dernière que 800 femmes continuent de mourir tous les jours de complications de la grossesse et de l’accouchement, et que 85 pour cent de ces décès se produisent en Afrique sub-saharienne et en Asie du Sud.

Parmi tous les OMD, l’OMD 5 relatif à l’amélioration de la santé maternelle est celui qui a affiché les progrès les plus lents.

Il existe en fait un tableau qui résume bien cette absence de progrès. Il montre que le financement de la santé sur un plan global n’a cessé d’augmenter au cours de la dernière décennie, mais que le financement de la santé sexuelle et reproductive a littéralement stagné.

Les analyses montrent également les grandes inégalités qui existent dans l’accès aux services de santé reproductive.

L’accès aux contraceptifs et l’aide d’un personnel qualifié pendant l’accouchement ne sont pas du tout les mêmes pour les femmes avec des moyens vivant dans les zones urbaines et les femmes pauvres vivant dans les zones rurales. Cela vaut aussi pour les femmes avec des moyens vivant dans les zones rurales et les femmes pauvres vivant dans les zones urbaines.

Nous savons aussi qu’en tant que groupe, les jeunes femmes sont celles qui ont le moins accès à ces services, ce qui explique pourquoi les complications de la grossesse et de l’accouchement sont la cause principale des décès des femmes âgées de 15 à 19 ans.

Nous avons compris qu’il était possible de réduire la mortalité maternelle dans toutes les régions, et qu’il est possible de réaliser davantage de progrès si toutes les femmes arrivent à exercer leur droit à la santé, y compris à la santé sexuelle et reproductive, quel que soit leur âge, leur revenu, leur origine ethnique et le lieu où elles habitent.

Il est temps de faire du droit des femmes à la santé pendant leur vie une priorité du développement mondial.

En tant que pédiatre, je tiens à ajouter que nous devons redoubler d’efforts pour mettre fin aux mariages précoces.

Nous sommes une fois encore conscients de ces faits. Mais quelles sont les trois enseignements cruciaux que nous devons tirer et qui doivent guider notre action future ?

Premièrement, l’État doit jouer un rôle essentiel dans la promotion de l’égalité des sexes et l’élimination de la discrimination et de la violence à l’égard des femmes et des filles, et ce, grâce à des lois, des politiques et des programmes appropriés. Les États doivent accorder la première priorité à ces questions.

J’ajouterai que les pays peuvent lutter contre les inégalités comme bon leur semble, mais il est essentiel qu’ils fassent preuve de volonté politique ; l’efficacité avec laquelle les États luttent contre les inégalités dépend de leur volonté politique.

Aucun pays ne peut promouvoir la croissance et l’égalité inclusives sans protéger les droits fondamentaux des femmes et des filles leur permettant de vivre à l’abri de la violence et de la discrimination.

Il faudra le plein appui des gouvernements et l’autorité de la loi pour protéger les gains acquis de haute lutte par les hommes et les femmes dans le monde, des hommes et des femmes qui ont œuvré et continuent d’œuvrer inlassablement pour faire évoluer les normes culturelles et les comportements sociaux ancrés dans leurs sociétés.

Deuxièmement, pour parvenir à une inclusion et une égalité réelles, nous devons axer notre action sur les facteurs qui entravent la participation des femmes à la vie publique et promeuvent activement les mêmes chances pour les femmes dans les secteurs public et privé.

Il faut notamment prendre des mesures proactives pour rémunérer les soins non payés, pour assurer aux femmes un accès égal aux ressources, aux biens et aux emplois décents, et pour instituer des mesures spéciales temporaires telles que les quotas permettant aux femmes d’occuper des postes décisionnels, notamment dans les parlements et les conseils d’administration.

Troisièmement, les États doivent établir un seuil de protection sociale, au-dessous duquel personne ne doit pouvoir tomber.

Chacun a le droit à un revenu de base garanti et à l’accès universel à des services sociaux essentiels tels que la santé, l’eau et les installations sanitaires, l’éducation et la sécurité alimentaire.

Cela ne bénéficie pas seulement aux personnes. Les économies bénéficient aussi de leur côté de sociétés plus saines, mieux préparées et plus égalitaires.

Négliger les plus pauvres et les plus marginalisés n’est pas une solution viable pour des sociétés dans lesquelles chacun a le droit d’exploiter tout son potentiel.

Le programme de développement pour l’après 2015 devra se fonder sur un nouveau contrat social entre les États et les citoyens qui privilégiera l’inclusion, l’égalité et la participation démocratique.

Permettez-moi également d’ajouter que la lutte contre les inégalités n’a pas seulement trait à ce que nous prenons comme mesures dans nos pays individuels.

Nous vivons dans un monde inégalitaire. Le commerce inéquitable ne nous permet pas d’améliorer la vie des petits exploitants agricoles, même si nous leur fournissons les meilleures semences.

Nous devons lutter contre les inégalités au niveau du système de gouvernance mondial pour nous assurer que nous éliminons les inégalités.

Pour parvenir au succès dans le cadre d’un nouveau programme de développement mondial, nous devons fixer un nouvel objectif de développement unificateur en matière d’égalité des sexes qui soit une priorité transversale.

Nous devons œuvrer ensemble pour réaliser la promesse de l’édification de sociétés plus équitables, plus inclusives, plus pacifiques et plus viables pour tous. Rien de plus, rien de moins.

Nous n’avons vraiment plus le temps de garder la tête dans le sable.

Ignorer l’impact dévastateur des inégalités croissantes sur les personnes, les communautés, nos sociétés, notre planète et sur un avenir pacifique et viable risque de nous coûter très cher.

Il ne s’agit pas là du fossé entre le Nord et le Sud. Cela nous concerne tous.

Mesdames et messieurs,

Je vous ai présenté deux situations particulières. Il y a néanmoins quelque chose qui relie ces deux situations distinctes. Il s’agit du type de leadership dont nous avons besoin.

Je pense que nous avons besoin d’un type de leadership que nous sommes prêts à défendre.

Partout dans le monde, les personnes exigent et réclament des dirigeants légitimes et des politiques légitimes. Des dirigeants qui élaborent, mais, surtout, qui mettent en œuvre des politiques qui donnent des chances égales à tous. Des dirigeants qui se désintéressent des gains à court terme et tracent la voie vers un avenir plus équitable, plus juste et plus viable. Voilà le défi à relever.

Au XXIème siècle, le leadership ne peut plus se faire par le contrôle et le commandement. Il faut écouter et apporter une réponse. Il est essentiel d’écouter et les dirigeants modernes disposent d’instruments en grand nombre pour ce faire.

Le leadership doit aspirer à l’inclusion. Les châteaux sont en train de brûler. Les forteresses et les douves ne sont plus d’actualité.

L’heure de l’ouverture et de la participation a sonné.

Le leadership n’est pas un effort isolé ou insulaire. Le leadership nécessite la consultation et la collaboration. Le pouvoir légitime des gouvernements émane du consentement de ceux qui sont gouvernés. Un vrai leadership implique la participation et l’engagement.

Le leadership est attaché à l’égalité. Nous ne pouvons plus mettre en œuvre des politiques publiques qui octroient le meilleur aux meilleurs et les restes au reste de la population.

Nous devons promouvoir des valeurs universelles grâce à une couverture universelle. L’éducation et les soins médicaux, l’eau potable et les services sanitaires, le logement et l’énergie et un emploi décent ne sont pas des contributions charitables ou des petits cadeaux du gouvernement ; ce sont des droits pour tous les êtres humains.

Cela est tout particulièrement important pour les femmes et les filles. À ce jour, aucune société n’a réalisé l’égalité des sexes.

De nombreux pays du monde ont réalisé des progrès importants sur la voie de l’égalité des sexes en matière d’éducation, mais le verre est toujours à moitié plein : les femmes continuent de gagner moins que les hommes, elles ont moins de chances d’occuper des hautes fonctions et elles sont plus susceptibles de finir leur vie dans la misère.

Le leadership va de pair avec la diversité et les sociétés inclusives. Les vrais dirigeants s’emploient à accorder de la valeur aux personnes et à les comprendre. Pour ce faire, ils doivent faire preuve d’humilité, de respect d’eux-mêmes et des autres, et d’une forte conviction que leur effort peut être mené à bien.

Au cours de ma vie, j’ai eu le privilège de servir les objectifs communs de la démocratie, de l’égalité et de la justice, d’abord, dans mon pays, le Chili, ensuite au service des femmes de notre monde par le biais d’ONU Femmes.

J’ai appris que le leadership n’est pas une qualité. Le leadership est un voyage.

Il importe de ne jamais renoncer et d’être toujours tourné vers l’avenir, ce qui ne veut pas dire qu’il faut oublier le passé.

Bien au contraire, le besoin d’édifier une société meilleure est fondé sur les enseignements tirés.

Pour édifier une nation démocratique, il faut s’appuyer sur le passé, aller de l’avant avec le sentiment que l’on s’acquitte d’une mission visant à créer un avenir qui inclut chacun d’entre nous et donne à tous les mêmes droits et les mêmes chances.

Au cours de mon mandat de ministre de la Défense du Chili, avant d’assumer les fonctions de Présidente, ma mission consistait à réformer le secteur de la défense et à poursuivre mon travail à l’appui de l’État de droit.

Pendant le régime militaire, les droits de l’homme ont été violés et les militaires inspiraient la peur chez les personnes.

En considérant mon devoir avec espoir, et non avec colère, il m’a été possible d’aider le peuple et les forces armées à avancer dans un esprit d’identité nationale et avec détermination. Nous avons gardé à l’esprit la mission que nous nous étions fixée : lutter contre l’autoritarisme en créant des institutions qui protègent les valeurs démocratiques.

La démocratie est ancrée dans la solidarité, la paix et la justice, et des réformes démocratiques nécessitent un leadership convaincu. Elles nécessitent également l’égalité et l’inclusion.

Mesdames et messieurs,

Ryszard Kapuscinski a dit : « La plus grande contradiction qui existe dans notre monde qui ne cesse de grandir est que, malgré le fait que nous traversions une période de développement et de progrès, les inégalités ne cessent de croître. Plus les progrès sont grands, plus les inégalités sont grandes ».

C’est un simple constat, mais j’affirme que nous pouvons et que nous devons faire mieux.

En avançant dans ce XXIème siècle déjà plein de défis, je suis convaincue que nous devons donner une nouvelle définition du progrès : le progrès qui nous permet d’évaluer dans quelle mesure nous promouvons l’inclusion et réduisons les inégalités.

J’ai assumé la fonction de Directrice exécutive fondatrice d’ONU Femmes, convaincue que les progrès que nous devons accomplir en matière d’inclusion devront également promouvoir vigoureusement et avec détermination l’autonomisation des femmes et l’égalité des sexes.

Nous exhortons les gouvernements à convenir de mesures – et à les prendre – afin que les femmes aient la possibilité de jouer un rôle de chef de file et de participer pleinement à la prise de décisions, qu’il s’agisse des politiques, des questions économiques ou sociales ou de l’environnement.

Nous demandons que les femmes bénéficient des mêmes chances dans l’économie. Cela implique la prise d’une série de mesures, notamment la mise en place de politiques de protection des enfants et d’emplois, l’élimination de la violence et de la discrimination et l’enlèvement des obstacles qui empêchent les femmes de posséder des terres et d’avoir accès au crédit.

C’est notre contribution à l’inclusion.

Le développement durable ne sera réalisé que lorsque chacun aura accès aux services publics de base, notamment l’éducation, les soins de santé, l’eau, les services sanitaires, l’énergie et la protection sociale.

Je vous demande maintenant d’apporter votre contribution. Je finirai en citant un proverbe irlandais : « An áit a bhuil do chroí is ann a thabharfas do chosa thú. »

Vos pieds vous amèneront là où se trouve votre cœur.

Je vous demande de montrer que vous avez du cœur et d’avoir le courage de faire de ce siècle le siècle de l’inclusion.

Je vous remercie.