Yannick Glemarec souligne la nécessité d’une perspective genre dans les négociations climatiques

Résumé de l’intervention de Yannick Glemarec, Directeur Executif Adjoint, ONU Femmes, le 16 octobre 2015, à la conférence « Climat, les femmes s’engagent ! » au Ministère des Affaires étrangères et du développement international à Paris.

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[L’allocution prononcée fait foi.]

D’une part, il y a une reconnaissance croissante de l’incidence disproportionnée que le changement climatique aura sur les femmes. D’autre part, on reconnait aussi les énormes avantages sociaux et économiques, ainsi que la résilience face aux changements climatiques que peuvent apporter l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Cette reconnaissance est démontrée par les progrès réalisés en matière d’intégration d’une perspective genre dans les négociations climatiques au cours ces dernières années.

Aujourd’hui, le principal défi est d’intégrer systématiquement l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes dans nos réponses opérationnelles face au changement climatique à un niveau local, national et international. Ceci nécessitera un nouveau paradigme qui met les femmes au centre de tout effort d’adaptation, d’atténuation et de gestion des risques liés aux catastrophes.

Dans le domaine de l’agriculture, le changement climatique exacerbe les obstacles qui confrontent depuis longtemps les femmes agriculteurs. Les femmes représentent 43 pour cent de la main-d’œuvre agricole et jouent un rôle essentiel dans le soutien de la sécurité alimentaire des ménages et de la communauté. Toutefois, en raison de cadres politiques et juridiques discriminatoires ou de normes sociales préjudiciables, les femmes agriculteurs ont un accès inégal aux droits fonciers, aux facteurs de production agricoles, aux financements, à l’eau et à l’énergie, aux infrastructures nécessaires, ainsi qu’aux technologies et services de vulgarisation. Mettre fin à la disparité entre les sexes dans l’accès à la terre et aux autres ressources productives pourrait augmenter d’au moins 20 pour cent les rendements agricoles en Afrique. Ceci représente une occasion formidable pour avancer l’autonomisation des femmes, le développement économique ainsi que la résilience sociétale aux chocs, y compris le changement climatique.

En même temps, l’impact du changement climatique signifie que l’espace pour réduire les écarts sexo-spécifiques dans le domaine de l’agriculture, rétrécit rapidement. L’adaptation efficace au changement climatique nécessitera, par exemple, un capital initial plus conséquent qui permettra d’investir dans l’infrastructure et les biens résilients au changement climatique, et l’adoption de nouvelles technologies agricoles. Ce fait aggrave les obstacles existants qui limitent l’accès des femmes agriculteurs aux financements abordables et aux services de vulgarisation. En l’absence d’efforts concertés pour combler l’écart entre les sexes dans l’accès aux ressources productives pour l’agriculture résiliente au changement climatique, les femmes agriculteurs sont à risque d’être prises au piège dans une spirale fatale.

En suivant les tendances actuelles, il faudra attendre 2080 pour que l’accès universel à l’électricité devienne une réalité, et le milieu du 22ème siècle pour que l’accès à l’énergie non polluante pour la cuisson devienne possible. Dans les pays à faible revenu, les systèmes énergétiques hautement centralisés contournent souvent les pauvres, en particulier dans les zones rurales et plus particulièrement les femmes. Une femme vivant dans un village au nord du Nigeria paie environ 60 à 80 fois plus qu’un résident de New York pour l’énergie qu’elle consomme. Au fur et à mesure que les technologies d’énergies durables décentralisées deviennent de plus en plus rentables pour les pauvres, elles présentent d’énormes possibilités pour l’autonomisation des femmes en termes d’activités génératrices de revenus, la réduction du travail non rémunéré, ainsi que l’accès à l’information, l’éducation et les services de santé.

Dans la plupart des pays en voie de développement les femmes sont les principales gestionnaires de l’énergie des ménages et peuvent également être de puissants catalyseurs du changement dans la transition vers l’énergie durable. Les femmes entrepreneuses ont un potentiel énorme et peuvent créer des réseaux de distribution et de service dans les zones rurales, en aidant à réduire le coût de l’acquisition de la clientèle et accroître l’accès à l’énergie durable.

Cependant, ce potentiel à accélérer cette transition dans le domaine de l’énergie est largement sous-utilisé. Les femmes sont sous-représentées dans le secteur de l’énergie durable. Une fois de plus, des cadres réglementaires inadéquats, un accès limité aux techniques locales et aux financements abordables sur le long terme se traduisent par des risques d’investissement plus élevés pour les femmes que pour les hommes et entravent l’autonomisation des femmes et les efforts universels d’accès aux énergies propres.

Le même écart entre les sexes se trouve dans la gestion des risques liés aux catastrophes. Dans les 10 dernières années, 87 pour cent des catastrophes naturelles ont été liées au climat et ce nombre ne fera que croître. Les mêmes obstacles structurels qui limitent le rôle des femmes dans l’agriculture résiliente au changement climatique et l’accès universel à l’énergie propre, rendent les femmes plus vulnérables dans un contexte de catastrophe et d’après-catastrophes. Par exemple, plus de 70 pour cent des défunts lors du tsunami de 2004 en Asie étaient des femmes. De même, lorsque le cyclone Nargis a frappé le delta de l’Irrawaddy au Myanmar en 2008, le taux de décès parmi les femmes de 18 à 60 ans était le double de celui parmi les hommes dans la même tranche d’âge. Dans les régions impactées, traditionnellement, les femmes n’apprenaient ni à nager ni à grimper aux arbres.

A travers des actions dédiées à la lutte contre les facteurs majeurs et sous-jacents du risque, le Cadre de Sendai pour la réduction des risques lies aux catastrophes (2015-2030) appelle à une transformation radicale de paradigme. Ce cadre crée une occasion unique de réduire l’inégalité des risques entre les sexes à travers (i) l’évaluation des dimensions sexo-spécifiques des risques liés aux catastrophes dans un climat en évolution constante; (ii) l’intégration d’une perspective genre dans toutes les politiques et pratiques de gestion des risques de catastrophe; (iii) combler le déficit de financement pour la gestion des risques de catastrophe; et (iv) renforcement de la capacité des femmes à prévenir, se préparer pour et se remettre de catastrophes naturelles dans un climat changeant.

Réagir systématiquement aux disparités hommes-femmes dans nos plans d’adaptation aux changements climatiques est aujourd’hui l’un des mécanismes les plus efficaces pour renforcer la résilience climatique des familles, des communautés et des pays de l’avenir. L’application d’une perspective genre au changement climatique révèle des solutions à des problèmes qui d’apparence sont insolubles.

ONU Femmes, avec nos partenaires, s’engage à défendre ces nouvelles solutions, en mettant les femmes au centre de tout effort d’adaptation, d’atténuation et de gestion des risques liés aux catastrophes. Nous pensons qu’une telle transformation de paradigme permettra de créer un cercle vertueux qui facilitera l’atteinte de multiples objectifs de développement durable ; l’amélioration de la vie et de la résilience des femmes et des hommes du monde entier, et la possibilité de faire en sorte qu’une économie respectueuse du climat, devienne une réalité.