Dans les propos de Taffan Ako : « Selon moi, il faut faire partie du système pour pouvoir le changer »

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Taffan Ako poses for a photo. Photo:  UN Women/Maria Sanchez
Taffan Ako. Photo: ONU Femmes/Maria Sanchez

Une réfugiée provenant du Kurdistan iraquien, Taffan Ako s’est enfuie en Suède en 1997 avec sa famille. Aujourd’hui, elle est Coordinatrice de « One Young World Ambassadors for Scandinavia and Eastern Europe » et fondatrice de « EmpowHERmen », une organisation qui soutient les femmes et les jeunes filles, anciennes esclaves du sexe de l’ISIS ou victimes de la traite des êtres humains. Sa fondation finance des projets d’intégration en faveur des enfants et des femmes en Europe et au Kurdistan iraquien. Taffan Ako, a été l’une des Jeunes leaders ayant participé aux Journées européennes du développement de juin 2018 organisées par l’Union européenne et a partagé son expérience avec ONU Femmes en tant que réfugiée en Suède et en tant, aujourd’hui, qu’activiste.

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Lorsque j’avais trois ans, nous avons fui la guerre civile au Kurdistan iraquien avec ma mère et ma sœur. Comme les gens le font aujourd’hui, en se cachant dans des camions, dans de petits bateaux en caoutchouc et en emmenant tout ce que nous possédions.

Nous sommes arrivées en Suède. Mon père nous a rejointes après quelques mois, il avait été blessé durant la guerre.

J’ai appris le suédois avant le kurde. J’ai grandi avec des valeurs démocratiques et je connaissais mes droits. Mais à l’école j’étais victime de brimades. On me disait que j’étais une réfugiée et que je n’appartenais à aucun État. On me disait que je devais dire que je venais d’Irak et non pas du Kurdistan.

En grandissant, j’ai traversé des crises d’identité et ceci a contribué à ma décision de retourner au Kurdistan à l’âge de 18 ans. Je sentais que je devais retourner là d’où je venais, ou je serais acceptée.

En ayant vécu toute mon enfance en Suède, j’avais une vision différente de l’humanité, des droits humains et de la démocratie. Mais au Kurdistan il m’était même interdit de nager avec un maillot de bain ordinaire ; mon grand-père me demandait de porter des manches longues. J’ai commencé alors à me poser des questions, me demandant pourquoi les femmes ont un rôle différent dans la société kurde. Cette curiosité est la base de ma passion pour le féminisme et le droit des femmes.

Lorsque je suis revenue au Kurdistan, j’ai réalisé que les femmes avaient uniquement le droit d’être enseignantes ou femmes au foyer ; et, même lorsqu’elles étaient enseignantes, on leur interdisait d’enseigner dans les écoles secondaires par crainte que le fait qu’elles aient atteint l’âge de la puberté puisse mener à des comportements d’ordre sexuel. Une nuit, je me suis assise près de l’oncle de mon père, l’homme le plus âgé de la famille et le plus cultivé. Je lui ai demandé pourquoi les femmes étaient opprimées. Il m’a répondu que cela était une question de culture et parce qu’on n’avait pas encore appris aux gens de s’en détacher, car la culture de l’honneur était profondément ancrée. Tout ce que les hommes font est lié à l’honneur de leurs femmes. L’honneur de la femme reflète toute sa famille, et pourtant, la femme n’a aucune valeur.

J’ai écrit mon premier article cette même nuit, « Féminisme au Kurdistan », qui a été publié dans un magazine en ligne appelé Kurdistan Tribune. Certains magazines locaux ont été ensuite traduits en kurde et publiés. En 48 heures, j’ai reçu tellement de messages de haine de la part de la communauté kurde que je ne savais pas comment gérer cette cyberviolence. Même mes oncles étaient indignés et me disaient que je les avais déshonorés.

Mais mon père m’a appelée plus tard et m’a dit : « Je suis fier de toi. Je ne veux pas que tu t’arrêtes là ».

Après quelques semaines, j’ai continué à écrire et ai commencé à m’engager auprès d’organisations locales. J’ai alors lancé différents projets portant sur la prévention de la mutilation génitale féminine dans les zones rurales du Kurdistan et j’ai obtenu beaucoup de soutien de la part des jeunes. J’étais heureuse de savoir que même si les anciennes générations ou les groupes religieux ne partageaient pas mon point de vue, d’autres me soutenaient. J’ai lancé la première association en faveur de l’autonomisation des femmes au Kurdistan.

Je suis restée trois ans au Kurdistan et mon travail s’est intensifié à cause de la crise des réfugiées qui a touché le Moyen-Orient avant de s’étendre à l’Europe. Selon moi, il faut faire partie du système pour pouvoir le changer.

En 2016, je suis retournée en Suède et depuis je poursuis mes études. Si l’on me permet de rêver et de voir grand, je serais très heureuse de devenir un jour ministre des Affaires étrangères de la Suède. »