Une nouvelle loi en Albanie permettra aux victimes de la violence domestique d’accéder à des logements à bas prix

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Photo: ONU Femmes/Yllka Parllaku

« Mais pourquoi ne s’en va-t-elle pas ? », voilà une question malheureusement trop souvent posée au sujet des femmes qui vivent une relation marquée par la violence. La question s’accompagne souvent de sentiments d’incrédulité... Si la situation était vraiment si insupportable, pourquoi n’est-elle pas partie ?

Demandez à Silva Kaca* pourquoi, pendant si longtemps, elle n’est pas partie, et elle vous parlera de l’un des plus gros obstacles auxquels se heurtent de nombreuses femmes en Albanie, comme ailleurs dans le monde, lorsqu’elles tentent de quitter un foyer ou un conjoint violent.

Silva Kaca a été mariée pendant 22 ans et de son union avec son conjoint violent sont nées deux filles.

Elle se souvient que ses filles s’arrêtaient de jouer et couraient vite à la maison dès qu’elles voyaient leur père garer la voiture. S’asseyant sur les genoux de leur mère, elles espéraient ainsi servir d’écran pour la protéger des coups. Les cinq dernières années du mariage de Silva Kaca ont été un enfer et la goutte qui a fait déborder le vase fut lorsque son mari commença à battre aussi leur fille aînée, âgée de 14 ans à l’époque.

Silva Kaca a alors tenté d’obtenir justice : « J’ai obtenu deux fois une mesure de protection de la police, mais nous vivions toujours sous le même toit ». Comme tant d’autres femmes albanaises, elle n’avait nulle part ailleurs où aller. Son mari s’est ensuite retrouvé en prison pour violence conjugale et elle a finalement pu divorcer ; mais après sa libération, Silva Kaca a dû fuir sa maison parce que son ex-mari menaçait de la tuer. Elle n’a même pas eu le temps de faire ses valises et d’emmener ses filles avec elle.

« J’ai vécu chez des parents et des amis jusqu’à ce qu’un ami proche me recommande le Refuge pour femmes et filles victimes de violence, et là j’ai trouvé le foyer le plus chaleureux et le plus accueillant possible », a déclaré Silva Kaca. « J’ai pu enfin retrouver mes filles et dès que nous sommes arrivées au refuge, nous avons senti le calme, comme si nous nous sentions renaître ».

Le Refuge pour femmes et filles victimes de violence fait partie du Réseau de surveillance contre la violence basée sur le genre, un réseau de 48 organisations de la société civile actives dans toute l’Albanie. La création de ce réseau a été facilitée par ONU Femmes dans le cadre de son programme régional sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, financé par l’Union européenne. En 2018, le réseau a joué un rôle majeur en plaidant pour une modification de la loi sur les « Mesures contre la violence au sein des relations familiales » et en présentant un projet de loi sur le logement social. Grâce à leur travail de plaidoyer, les femmes victimes de la violence domestique, les rescapées et possibles rescapées de la traite des êtres humains et les mères célibataires font désormais partie des groupes susceptibles de bénéficier d’un accès prioritaire aux logements sociaux à bas prix, en vertu de la loi sur le logement social adoptée en mai 2018.

Edlira Haxhiymeri, qui dirige le Refuge pour femmes et filles victimes de violence à Tirana depuis 20 ans, affirme que le manque de logement et de refuges est l’un des plus gros problèmes pour la plupart des femmes exposées à la violence. « Soit elles n’ont pas d’autre foyer durant leur mariage, soit elles le perdent après leur divorce. [Payer] un loyer n’est pas dans leurs moyens ». Prises au piège entre la violence et le manque d’autonomie financière, de nombreuses femmes sont contraintes de rester dans une relation inappropriée ou de retourner vivre avec leur conjoint violent.

« Nous espérons vraiment que la loi sur le logement social sera une aide pour les victimes de la violence domestique », ajoute Edlira Haxhiymeri.

Le Refuge, également soutenu par le programme régional d’ONU Femmes en Turquie et dans les Balkans occidentaux, vise à sensibiliser les institutions publiques et les membres de la collectivité dans la ville de Lezha au thème de la violence domestique et aux lois existantes destinées à protéger les femmes. Il aide au renforcement des capacités des prestataires de services publics, afin que ces derniers puissent fournir des services de qualité aux victimes d’actes de violence.

Après avoir passé plus de six mois au refuge, Silva Kaca a dû déménager cette année dans un petit studio. Si elle est aujourd’hui indépendante, elle doit néanmoins se battre pour joindre les deux bouts. « Payer un loyer, cela veut dire ne pas toujours avoir assez pour manger certains jours » déclare-t-elle. « Nous ne sommes qu’au début du mois, et il ne me reste que 90 dollars US. »

Un logement social en Albanie. Les surivantes de violences domestiques sont prioritaires dans l’obtention de logements sociaux comme celui-ci. Photo : ONU Femmes/ Yllka Parllaku

« Lorsqu’elles sont la seule source de revenus dans la famille, il leur est impossible de faire face au coût du logement », souligne Edlira Haxhiymeri, se faisant l’écho du besoin des femmes en logements sociaux abordables. Des organisations de la société civile en Albanie diffusent actuellement des informations auprès des communautés concernant la nouvelle loi et ce qu’il faut faire pour en bénéficier.

Certaines municipalités en Albanie sont venues en aide aux victimes de la violence domestique en leur offrant des primes de loyer. « Nous pensons encourager les autres municipalités à faire de même afin d’aider les victimes », a déclaré Merita Xhafaj, directrice générale des politiques et du développement en faveur de la santé et de la protection sociale, au sein du ministère de la Santé et de la Protection sociale.

« L’adoption de la nouvelle loi sur le logement social est une étape importante pour l’Albanie dans la voie du respect des normes internationales telles que la Convention d’Istanbul. ONU Femmes s’est engagée à soutenir sa mise en œuvre en plaidant pour des allocations budgétaires adéquates tant au niveau central que local, afin de s’assurer qu’aucune femme ne soit laissée pour compte », a déclaré Estela Bulku, responsable du programme d’ONU Femmes en Albanie. 

Pour les femmes dans des situations telles que celle vécue par Silva Kaca, la loi sur le logement ne signifie rien d’autre qu’une question de vie ou de mort. Il s’agit également pour les services publics d’apporter une réponse aux besoins spécifiques des femmes et aux défis qu’elles doivent affronter. Elle observe que toutes les femmes qui, comme elle, ont à faire face à la violence, devraient se voir offrir un refuge au moins jusqu’à ce qu’elles se rétablissent et puissent gagner leur vie.

* Le nom a été modifié pour protéger l’identité de la personne.