Vendeuses de bière du Cambodge : faire preuve de solidarité pour mettre fin à la discrimination

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Voleak anime le débat d'un groupe de discussion de promotrices de bière sur le développement d'activités de projets dans la province de Prey Veng, au Cambodge, en juin 2011. Crédit photo: Nicholas Axelrodd

« Tout le monde pensait que j'étais une mauvaise fille » raconte Voleak « car je travaillais la nuit, avec un groupe de femmes n'ayant qu'une éducation limitée, et mes chefs me poussaient à m'asseoir pour prendre un verre avec les clients, ainsi qu'à attirer ceux qui dépensaient le plus ».

Dans le monde concurrentiel d'aujourd'hui, la solidarité semble être une valeur dépassée. Mais pour Voleak, une vendeuse de bière de 25 ans, le fait de comprendre la valeur de la solidarité a marqué le début d'une nouvelle vie. Ses premières années en tant que promotrice de bière dans la province de Phnom Penh au Cambodge n'ont pas été faciles.

Contraintes à un rythme de vie complètement décalé, les promotrices de bière ne commencent à travailler dans et autour des bars du Cambodge et des salles de karaoké qu'une fois la nuit tombée. Souvent payées à la commission, elles sont directement exposées à des clients gros consommateurs d'alcool, qui se livrent parfois à des violences et au harcèlement.

Selon l'association CARE International, 83 pour cent des vendeuses de bière du Cambodge ont eu des contacts sexuels non désirés, tandis que 38 pour cent d'entre elles ont dû se livrer à des relations sexuelles forcées. Celles-ci ne cherchent toutefois pas à changer de travail, beaucoup ayant dû quitter l'industrie du vêtement suite à la récente crise économique.

Rêvant d'une amélioration de leurs conditions de travail, Voleak et d'autres promotrices de bière de Phnom Penh ont décidé de rejeter le comportement concurrentiel exigé par leur profession et de se rassembler dans le cadre d'un groupe.

Depuis 2009, l'Association de solidarité des promotrices de bière du Cambodge (SABC) défend les droits et la sécurité des femmes travaillant dans l'industrie de la bière, grce à des activités de formation sur les aptitudes à la vie quotidienne, de sensibilisation au genre et d'éducation par les pairs menées à bien par CARE International Cambodia, bénéficiaire du Fonds des Nations Unies pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes.

Groupe de discussion de promotrices de bière en vue de développer les activités de projets, organisé dans la province de Prey Veng, au Cambodge, en juin 2011. Crédit photo: Nicholas Axelrod

Mais au départ, l'organisation n'a pas été bien accueillie par tout le monde. « Lorsque le groupe de solidarité a été créé, la plupart de nos membres ont été félicitées, mais pas par les fabricants de bière, qui étaient très inquiets de la manière dont ce groupe fonctionnerait ainsi que de ses buts et objectifs. Parfois, le groupe faisait l'objet de critiques de la part d'autres promotrices de bière, pour qui l'idée était encore trop neuve ».

Le Groupe de solidarité a récemment reçu l'appui du ministère des Affaires des femmes, qui a initié des dialogues avec les propriétaires de débits de boissons sur les droits des femmes, la violence sexiste, les lois et la responsabilité qui est la leur d'assurer la sécurité des promotrices de bière.

Le ministère prête par ailleurs main forte au groupe afin de mener une campagne de sensibilisation dans les médias. Figurent parmi les premières initiatives la pose de signes lumineux dans les bars rappelant aux clients que « la promotion de la bière est un travail porteur de valeur et de dignité » et que « la dignité et l'honneur sont exigées par tous les êtres humains ».

Dans le même temps, CARE International a travaillé avec l'Association de solidarité pour encourager les entreprises à respecter le code de conduite de l'Industrie de la vente de bière du Cambodge.
Celui-ci instaure des normes au niveau des contrats, des salaires et des avantages sociaux, de la sécurité du transport entre la maison et le lieu de travail et de la dignité des uniformes, et recommande l'organisation de sessions d'information sur la santé sexuelle et reproductive et de négociations avec les clients.

Pour beaucoup de femmes, les changements sont lents, y compris sur le plan personnel. Aujourd'hui, Voleak est l'administratrice et la coordinatrice des finances de l'Association de solidarité. Cette responsabilité lui a donné confiance en ses capacités à enseigner et à diriger, et lui a permis de financer les études de son jeune fils. « Je dois tout cela à mon travail avec d'autres promotrices de bière, par le biais de la SABC » se félicite-t-elle. « Aujourd'hui, je me connais mieux moi-même et je sais qui je veux être ».

Les membres de l'équipe technique du ministère des Affaires des femmes du Cambodge préparent une initiative afin de rendre les lieux de travail non violents, à l'intention des propriétaires de de bière de Phnom Penh, en août 2011. Crédit photo: Nicholas Axelrod

Malgré ces réalisations, Voleak est consciente que certaines des batailles-clés pour elles et ses homologues vont au-delà du lieu de travail, et concernent la société cambodgienne - dans laquelle la stigmatisation et la discrimination sexuelles sont profondément enracinées - dans son ensemble. Travaillant à des changements à long terme, Voleak et ses collègues ciblent les clients masculins, notamment les étudiants universitaires, en organisant des sessions sur la dynamique du pouvoir, les stéréotypes et l'impact social de la violence sexiste.

Au cours de la Journée internationale des femmes en 2011, un tournant décisif a été pris lorsque la ministre des Affaires des femmes a affirmé publiquement que la « violence à l'égard des femmes, notamment dans l'industrie de la bière, exige des réponses multiples de l'ensemble des acteurs concernés ».

Voleak et ses collègues ont fait un premier pas, provoquant des changements grce à leur comportement solidaire. Elles ont vu un début de progrès. Ce qu'elles attendant désormais, et ce pour quoi elles se battent, c'est que d'autres acteurs de l'industrie de la bière - les propriétaires des débits de boissons, les fabricants de bière - ainsi que le gouvernement et la société dans son ensemble les rejoignent dans cette voie.