Un pas en avant pour la sécurité des femmes au Bangladesh : l’appel à l’adoption d’une législation sur le harcèlement sexuel

« J’étais en CE1 quand un membre âgé de ma famille m’a touché la poitrine pendant qu’il me tenait sur ses genoux. Je savais que quelque chose n’allait pas, mais je n’ai rien dit à ma mère », a confié Salma Sultana Sumi*, étudiante dans une université publique au Bangladesh. « J’ai eu peur des hommes pendant des années et j’ai évité les réunions de famille. Même aujourd’hui, j’ai un cutter (petit couteau) dans mon sac. »

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Une compétition sportive avec des étudiants universitaires de Dhaka au Bangladesh lors des 16 Jours d’activisme en 2018 sensibilise le public aux programmes et aux activités conçus pour améliorer la sécurité et prévenir le harcèlement sexuel sur le campus. Photo : ONU Femmes/Fahad Kaizer
Une compétition sportive avec des étudiants universitaires de Dhaka au Bangladesh lors des 16 Jours d’activisme en 2018 sensibilise le public aux programmes et aux activités conçus pour améliorer la sécurité et prévenir le harcèlement sexuel sur le campus. Photo : ONU Femmes/Fahad Kaizer

Des taux élevés de harcèlement sexuel sur le lieu de travail, dans les lieux publics et dans les espaces en ligne

 

Le harcèlement sexuel peut impliquer tout comportement de nature verbale, non verbale ou physique, y compris des communications écrites et électroniques. Il peut se présenter sous différentes formes – depuis des regards et des paroles jusqu’à des contacts physiques de nature sexuelle – et affecter la vie des femmes et des filles au quotidien, partout, en limitant leur liberté de mouvement et leur sécurité.

Selon le dernier rapport « Les femmes, l’entreprise et le droit », bien que 151 pays disposent désormais de lois contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, un nombre inférieur ont des lois qui portent sur le harcèlement sexuel dans les institutions d’enseignement (75), dans les espaces publics (39) et en ligne (75). De plus, 98 pays ne disposent pas d’une législation complète contre le harcèlement sexuel prévoyant des condamnations pénales ou des recours civils.

En 2021, l’Association des femmes avocates du Bangladesh a analysé les cas signalés pour montrer que 84 % des femmes sont confrontées à des actes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail et dans les espaces publics – par exemple, à l’école, au travail, dans la rue et dans les transports publics, et même chez elles. Selon cette analyse, un nombre bien plus élevé de femmes subissent du harcèlement sexuel en ligne.

La Directive de 2009 de la Cour suprême et les lacunes juridiques actuelles

Bien que la Cour suprême du Bangladesh ait publié une Directive phare en 2009 visant à prévenir le harcèlement sexuel sur le lieu de travail et à l’école, les incidents demeurent répandus et normalisés.

Selon Mme Sumi, des hommes étudiants plus âgés et des enseignants publient régulièrement des commentaires inappropriés sur son compte de réseau social, ce qui la met mal à l’aise et lui donne un sentiment d’insécurité.

« Une fois, j’ai demandé à un enseignant de revoir mes notes et il m’a demandé de le retrouver à 18h dans son bureau. Je n’y suis pas allée », se souvient-elle. « Il m’a ensuite demandé de venir le voir à 8h le lendemain, une heure où le campus est presque désert, alors je suis venue avec des amies. Il n’a pas semblé apprécier. Peut-être n’avait-il aucune mauvaise intention. Mais comment pouvais-je en être certaine ? Il vaut mieux prévenir que guérir. » 

Mme Sumi et ses amies souhaitent que les efforts se focalisent sur le changement des mentalités chez les hommes et dans les familles et les institutions, afin de cesser de normaliser le harcèlement sexuel des femmes.

Sabina Ali*, étudiante en faculté et membre du Comité chargé des plaintes de harcèlement sexuel dans une université privée de Dhaka, rejoint l’avis de Mme Sumi. « Depuis que nous avons établi le Comité chargé des plaintes de harcèlement sexuel en 2017, nous traitons environ 8 à 10 cas chaque année », a-t-elle déclaré. « Tous les semestres, nous organisons des séances d’orientation sur le rôle du Comité, des sessions d’accueil des nouveaux membres de la faculté ainsi que des ateliers destinés au personnel non enseignant. »

Elle a observé que la plupart des cas signalés concernent du harcèlement en ligne. « Nous pouvons expulser les auteurs de ces actes du campus. Mais comment pouvons-nous nous assurer qu’ils n’adopteront pas le même comportement ailleurs ou sur leur nouveau lieu de travail ? »

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Des femmes tenant des pancartes sont réunies pour une marche nocturne organisée par Feminists Across Generations au Bangladesh en 2020. La marche visait à se réapproprier les lieux publics pour interpeler les citoyens au sujet de la normalisation de la culture de violences sexuelles et de viols. Photo : Mahmud Hossain
Des femmes tenant des pancartes sont réunies pour une marche nocturne organisée par Feminists Across Generations au Bangladesh en 2020. La marche visait à se réapproprier les lieux publics pour interpeler les citoyens au sujet de la normalisation de la culture de violences sexuelles et de viols. Photo : Mahmud Hossain

Plaidoyer en faveur d’une législation et l’appui que la nouvelle loi apportera aux femmes et aux filles

 

Depuis 2009, Bangladesh Mahila Parishad (BMP), une organisation de femmes à but non lucratif et un partenaire d’ONU Femmes, appelle à l’adoption d’une loi contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail et dans les institutions d’enseignement. Masuda Rosy, une militante féministe de longue date au sein de BMP, a contribué au projet de loi et est impliquée dans le soutien des jeunes femmes et des filles qui subissent des violences, des abus et du harcèlement.

 « La violence à l’égard des femmes est si normalisée dans notre société que, souvent, le harcèlement sexuel n’est pas considéré comme un crime », a déploré Mme Rosy. « Sans loi officielle, il est difficile de tenir les auteurs de ces crimes responsables de leur acte. Avec l’appui d’ONU Femmes, et aux côtés d’autres partenaires de la société civile et d’agences des Nations Unies, nous avons contribué à élaborer le “projet de loi de prévention et de protection contre le harcèlement sexuel”, qui définit le harcèlement, présente les mesures à prendre pour procéder à un signalement et prévoit des pénalités telles que des amendes, une suspension de travail ou un licenciement. »

Il s’agira du tout premier projet de loi contre le harcèlement sexuel dont l’élaboration est le fruit d’une collaboration entre la société civile et des agences des Nations Unies. Le projet de loi a été soumis au ministère de la Femme et de l’Enfance en vue de consultations complémentaires et de l’adoption de la loi. 

ONU Femmes soutient le gouvernement du Bangladesh et les organisations de la société civile dans l’adoption de la nouvelle loi, afin de garantir la sécurité des femmes et des filles. « Nous devons briser le silence autour du harcèlement sexuel sur le lieu de travail, dans les institutions d’enseignement et dans les espaces publics. Il ne doit pas être normalisé. Nous devons toutes et tous dénoncer le harcèlement sexuel et agir pour le prévenir. Chacun a un rôle à jouer – personne ne peut être un observateur passif », a déclaré la représentante d’ONU Femmes, Gitanjali Singh. « ONU Femmes demeure déterminée à travailler avec le gouvernement et ses partenaires de la société civile en soutien à la promulgation et à la mise en œuvre d’une loi de prévention du harcèlement sexuel. »

Certaines études montrent que les lois sont importantes pour changer les mentalités et réduire la prévalence de la violence à l’égard des femmes. Par exemple, le rapport Gros plan sur l’égalité des sexes 2024 indique que les pays disposant d’une législation contre la violence domestique enregistrent des taux inférieurs de violence infligée par un partenaire intime (9,5 %) par rapport à ceux qui n’ont pas une telle législation (16,1 %).

*Des noms d’emprunt ont été utilisés en remplacement des noms réels pour protéger les personnes contre des risques de représailles et de violence.