Les défenseuses des droits humains sont menacées partout dans le monde
Dans le climat politique mondial actuel, les concepts établis de longue date en matière de droits de la personne sont largement remis en question tandis qu’on assiste à une montée en puissance des mouvements anti-droits. Les défenseuses des droits humains sont souvent les premières à subir des attaques.
L’existence d’un mouvement féministe fort et autonome reste le moteur indispensable du changement politique nécessaire pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes. La vague de rejet actuelle s’accompagne toutefois d’une recrudescence des violences, des menaces et des discours de haine misogynes et sexistes de la part d’acteurs étatiques et non étatiques du monde entier à l’encontre des défenseuses des droits humains.
Pour en savoir plus sur les défis auxquels les défenseuses des droits humains sont confrontées et découvrir les mesures à prendre pour les défendre, voir ci-dessous.

Quelle est l’ampleur de la violence à l’égard des défenseuses des droits humains et des activistes féministes ?
L’expression « défenseuses des droits humains » fait référence aux femmes et aux filles travaillant sur les problématiques ayant trait aux droits humains, ainsi qu’aux personnes de tous sexes travaillant à la promotion des droits des femmes et des droits relatifs à l’égalité de genre – même si la personne en question se définit différemment : que ce soit comme journaliste, juge, grand-mère ou acteur de la société civile.
Ces défenseuses ont été confrontées à une répression accrue, à des faits de violence et à des exactions malgré l’obligation des États de garantir un environnement sûr et propice à leur travail.
Comme le souligne un récent rapport du Secrétaire général des Nations Unies, les acteurs anti-droits utilisent de plus en plus les plateformes en ligne pour s’opposer aux droits des femmes et ciblent notamment les défenseuses des droits humains en employant des tactiques qui incluent la cyberintimidation, le harcèlement, les menaces de violence et la désinformation genrée.
Dans une enquête de 2023 auprès de 458 défenseuses des droits humains menée par la Fondation Kvinna till Kvinna, trois personnes interrogées sur quatre ont déclaré qu’elles-mêmes ou leur organisation avaient été menacées ou harcelées pour leur travail – une augmentation de 15 points de pourcentage depuis 2021. Près d’une femme sur quatre a reçu des menaces de mort ; 37 activistes ont survécu à des tentatives de meurtre.
Le groupe de défense des droits humains Front Line Defenders a recensé 300 activistes tués dans le monde en raison de leur travail en 2023, dont 49 femmes. Une autre étude de l’Initiative méso-américaine des défenseuses des droits humains (Iniciativa Mesoamericana de Mujeres Defensoras de Derechos Humanos, IM-Defensoras) a documenté 35 077 attaques contre 8 926 défenseuses des droits humains entre 2012 et 2023, dont 200 assassinats, dans seulement 5 pays étudiés par l’organisation.
Dans certains cas, les acteurs étatiques se sont livré à des attaques directes contre les activistes et leurs familles, notamment par le biais de campagnes de diffamation, de harcèlement judiciaire et de criminalisation. On a également pu observer une augmentation inquiétante des discours misogynes, sexistes et homophobes de la part de dirigeants politiques de premier plan, contribuant ainsi à la normalisation de la violence à l’égard des femmes et des personnes de genre variant. Environ 58 % des personnes interrogées par la Fondation Kvinna till Kvinna ont déclaré que les gouvernements et les autorités étaient les principaux responsables des menaces auxquelles elles sont confrontées.
Les nouveaux espaces en ligne ont également alimenté la misogynie et perpétué des attitudes qui normalisent la violence à l’égard des femmes et des filles. Les acteurs de ce que l’on appelle la « manosphère » (communautés masculinistes en ligne) et la facilité de création de contenu textuel et visuel avec les plateformes d’intelligence artificielle ont conduit à une explosion de la désinformation genrée, des discours de haine, de la rhétorique méprisante à l’égard des mouvements de défense des droits des femmes et de l’antiféminisme, comme le souligne le rapport du Secrétaire général sur l’Intensification de l’action menée pour éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes. Les jeunes hommes et les garçons peuvent se radicaliser dans ces espaces en ligne et s’en prendre aux militantes féministes en perpétrant des attaques sexistes et du harcèlement.
Pourquoi les militantes sont-elles spécifiquement la cible de violences ?
Les défenseuses des droits humains sont confrontées aux mêmes risques que les militants masculins, y compris les menaces contre leur sécurité physique et les restrictions de leurs droits. Cependant, les femmes sont également exposées à d’autres risques et obstacles, façonnés par des stéréotypes de genre bien enracinés et des idées et normes profondément ancrées sur la façon dont les femmes doivent se comporter.
Les défenseuses des droits humains sont souvent perçues comme contestant les notions traditionnelles de la famille, les structures patriarcales et les normes et rôles de genre dans la société, une perception qui peut susciter l’hostilité des acteurs du mouvement anti-droits, du public, des médias et d’autres acteurs. Par exemple, les défenseuses des droits humains ont été accusées de menacer les valeurs religieuses, la famille et la morale sociale.
Ces risques sont également liés à des vulnérabilités existantes et croisées : IM-Defensoras a constaté que sur les 58 assassinats de défenseuses des droits humains entre 2020 et 2022, 40 % des victimes étaient des activistes transgenres. Par ailleurs, les attaques ont ciblé de manière disproportionnée les femmes autochtones et afrodescendantes.
Les défenseuses des droits de l’homme en matière d’environnement sont particulièrement menacées : entre 2016 et 2019, 1 698 attaques commises contre des défenseuses des droits humains en matière d’environnement ont été enregistrées au Mexique et en Amérique centrale, selon un récent rapport d’ONU Femmes.
Quels sont les effets de la violence sur les militantes et leurs communautés ?
Les menaces de violence, y compris sexuelle, sont souvent utilisées pour réduire au silence les défenseuses des droits humains, afin de saper leur travail et leur participation à la vie publique.
Les militantes sont susceptibles d’être victimes de féminicides ou d’assassinats à caractère sexiste, de menaces de mort, de viols, d’attaques à l’acide, d’arrestations arbitraires, de détentions et de disparitions forcées. Elles ont également fait l’objet de poursuites judiciaires stratégiques contre leur participation à la vie publique engagées par certaines entreprises dans le but de les intimider et de les réduire au silence. Leurs familles sont également en danger : la Fondation Kvinna till Kvinna a constaté une augmentation substantielle du nombre d’activistes des droits des femmes et des personnes LGBTIQ+ dont les membres de la famille ont été attaqués en raison du militantisme de leur proche.
Les effets conjugués de ces menaces physiques et juridiques ont entraîné un stress important sur le bien-être mental et émotionnel des défenseuses des droits humains, ce qui peut affecter davantage leur travail, selon un rapport du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits de la personne.
Le fait de prendre pour cible des défenseuses des droits humains se produit également dans un contexte de réduction générale du financement de la défense des droits des femmes au cours des dernières années. Parmi les personnes ayant répondu à l’enquête de la Foundation Kvinna till Kvinna, 45 % ont déclaré rencontrer de plus en plus de difficultés à financer leur travail.
En outre, les organisations de défense des droits des femmes reçoivent essentiellement des fonds pour des projets spécifiques, plutôt que pour leur fonctionnement général, ce qui limite leur aptitude à renforcer leurs capacités organisationnelles et à soutenir leur travail au-delà des cycles de projet. Le financement de la protection et des soins personnels et collectifs est rarement prévu dans le financement des projets.
Quelles protections juridiques existent pour les défenseuses des droits humains ?
Au niveau international, le droit de participer à la vie publique, y compris la promotion et la protection des droits humains, est prévu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1979, stipule que les gouvernements doivent prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer les discriminations à l’égard des femmes dans la vie politique et publique du pays. La Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée en 1998 stipule également que toute personne a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de défendre les droits humains aux niveaux national et international.
En 2013, l’Assemblée générale a adopté une résolution appelant spécifiquement les États à protéger les défenseuses des droits humains, à respecter et à soutenir leurs activités et à créer un environnement sûr et propice à la défense des droits humains dans une perspective tenant compte de la dimension du genre.
Ces résolutions, déclarations et pactes ont également été accompagnés d’autres actions au niveau international, y compris des recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui est un organe spécialisé des Nations Unies.
Les lois locales relatives à la défense des défenseurs des droits humains varient d’un pays à l’autre.
Selon le Service international pour les droits de l’Homme, 62 pays disposent d’au moins un mécanisme pour protéger les défenseurs des droits humains. Certains de ces instruments sont plus efficaces que d’autres pour protéger les activistes, mais beaucoup d’entre eux ne prennent pas en compte la perspective de genre pour répondre aux besoins spécifiques des défenseuses des droits humains.
Quelles sont les stratégies efficaces pour prévenir la violence à l’égard des défenseuses des droits humains ?
Il est essentiel que les États protègent les droits des défenseuses des droits humains et abrogent les lois qui entravent leur travail ou les discriminent.
Les États doivent également s’assurer que les intimidations, menaces, faits de violence et autres attaques contre les défenseuses des droits humains fassent l’objet d’enquêtes rapides et efficaces. Les autorités doivent prendre ces menaces au sérieux et veiller à ce que les auteurs soient traduits en justice tout en préservant la dignité et la sécurité des défenseuses des droits humains. Les États doivent également recourir à des mécanismes de protection rapides, flexibles et réactifs, tels que le transfert d’urgence, l’aide juridique et l’accompagnement des défenseurs en danger.
Certaines politiques gouvernementales proposées figurent dans le Protocole Esperanza, une feuille de route de politiques destinées aux États d’Amérique latine et soutenues par ONU Femmes. Ce programme fournit des conseils aux gouvernements, aux acteurs du système judiciaire, aux journalistes et aux défenseurs des droits humains eux-mêmes sur les meilleures pratiques pour faire face aux menaces.
Les défenseuses des droits humains collaborent également entre elles pour coordonner leur propre protection et s’assurer qu’elles sont au fait de tous les risques potentiels.
ONU Femmes et des organisations de la société civile comme Front Line Defenders proposent des cours, des outils, des rapports et des analyses fondés sur des données factuelles pour aider les activistes à mieux se protéger et à protéger leurs communautés. Une étude d’ONU Femmes sur la situation des défenseuses des droits humains en matière de cybermenaces en Asie du Sud-Est a également contribué à l’élaboration d’un cours en ligne sur mesure visant à renforcer la cyberrésilience des défenseuses des droits humains dans la région.
La constitution de réseaux de sécurité, c’est-à-dire de canaux de communication et de coordination entre les défenseuses des droits humains, peut également réduire leur isolement et leur permettre d’évoquer en toute sécurité des préoccupations communes et de partager des conseils.
La création de ce type de réseaux fait partie intégrante du travail d’ONU Femmes en Colombie, en partenariat avec le bureau du Médiateur et 11 organisations de la société civile. Cette démarche a permis de promouvoir des stratégies d’autoprotection et de protection collective, y compris le suivi des risques et le renforcement de la capacité à documenter les violations.
À cette fin, le programme ACT d’ONU Femmes, en collaboration avec des réseaux et des coalitions de défense des droits des femmes, lancera une plateforme mondiale de la société civile sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes afin de faciliter la création de réseaux et de coalitions et de renforcer la solidarité et la prise en charge collective des défenseuses des droits humains et des organisations de femmes au sens large.
Ce programme, ainsi que les autres travaux d’ONU Femmes et les contributions des organisations de la société civile, des gouvernements et des défenseuses des droits humains elles-mêmes, vise à mettre en place une zone tampon contre les acteurs hostiles dans le monde entier, afin que les défenseuses des droits humains puissent poursuivre leur travail indispensable.