Il faudra 22 ans pour combler le manque de données sexospécifiques dans les ODD

Lorsqu’une crise éclate, tout le monde n’est pas affecté de la même manière. Les crises se croisent et exacerbent les inégalités existantes. Les crises se conjuguent avec les inégalités existantes et les exacerbent, alors que nous sommes confrontés aux défis des changements climatiques et de ses impacts disproportionnés sur les femmes, aggravés par la récente pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine et la crise du coût de la vie. Tous ces éléments ont eu un effet désastreux sur la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), en particulier sur l’ODD 5 portant sur l’égalité des sexes.

Pour comprendre l’ampleur de ces impacts et mettre en place des réponses pertinentes aux crises et soutenir l’action politique sur les ODD, il est essentiel que nous ayons une image claire de la situation grâce à des statistiques sexospécifiques.

Il faudra 22 ans pour combler le manque de données sexospécifiques dans les ODD

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Chandra Kala Thapa travaille dans les champs près du village de Chatiune dans le district de Sindhuli, au Népal. Photo : ONU Femmes/Narendra Shrestha
Chandra Kala Thapa travaille dans les champs près du village de Chatiune dans le district de Sindhuli, au Népal. Photo : ONU Femmes/Narendra Shrestha

En juin 2022, nous disposions de 42 pour cent des données sur le genre dont nous avons besoin pour suivre les dimensions sexospécifiques des ODD, contre 26 pour cent en 2016, soit une augmentation annuelle de 3 points de pourcentage. Même si nous avons encore un long chemin à parcourir, ces progrès doivent pourtant être salués, compte tenu de la façon dont la collecte de données a été gravement affectée à l’échelle mondiale pendant la pandémie. En mai 2020, 90 pour cent des bureaux nationaux de statistique des pays à revenu faible ou intermédiaire inférieur peinaient à respecter les exigences internationales en matière de déclaration.

Les partenariats : un facteur de réussite dans la production de données sur le genre

Depuis 2016, le programme mondial de données sur le genre d’ONU Femmes, Women Count, soutient les efforts visant à améliorer la production régulière de statistiques ventilées par sexe, notamment en fournissant un soutien financier et technique pour améliorer la collecte de données afin que nous puissions faire un meilleur suivi des ODD. Sur les 10 pays Women Count, neuf disposent d’au moins la moitié des données sexospécifiques pour les ODD (Figure 1).

Figure 1. Disponibilité des données des indicateurs sexospécifiques des ODD des pays Women Count, septembre 2019 et juin 2022

 

Un long chemin à parcourir en matière de disponibilité des données

Sur les 193 pays qui ont pris des engagements à l’égard de l’Agenda 2030, aucun ne dispose de toutes les données sur les indicateurs sexospécifiques des ODD (Figure 2). Si nous continuons au rythme d’augmentation annuel moyen historique de 3 points de pourcentage, il faudra 22 ans aux pays pour arriver à une disponibilité de toutes les données sexospécifiques pour les ODD, soit plus d’une décennie après l’échéance de 2030 pour ces ODD.

Le Mexique, l’Arménie, la Biélorussie, le Guatemala, l’Équateur, le Pérou, le Costa Rica, l’Albanie, le Panama et le Zimbabwe disposent actuellement du plus grand nombre de données sexospécifiques pour les ODD (Figure 3). En appliquant les taux de progression spécifiques à chaque pays entre 2019 et 2022, ces pays seraient en mesure d’arriver à une disponibilité de toutes les données sexospécifiques pour les ODD avant 2030, à l’exception du Costa Rica (Figure 4). Même cela n’est pas suffisant. Pour prendre les mesures programmatiques et politiques nécessaires à l’atteinte de nos objectifs pour 2030, nous avons besoin de données sexospécifiques dès maintenant.

Figure 2. Disponibilité des données sur le genre dans les ODD, juin 2022

 

Figure 3 (gauche). Les 10 pays ayant le pourcentage le plus élevé de disponibilité des données sexospécifiques pour les ODD, en juin 2022

Figure 4 (droite). Nombre d’années nécessaires pour atteindre 100 pour cent de disponibilité des données sexospécifiques pour les ODD en fonction du taux de progression de la disponibilité des données entre 2019 et 2022

 

À l’autre extrémité du spectre, la liste des pays avec la plus faible disponibilité de données sexospécifiques pour les ODD est principalement dominée par les petits pays et les petits États insulaires : Monaco, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Marin, Liechtenstein, Andorre, Bahamas, Micronésie, Dominique, Grenade et Érythrée (voir Figure 5). Pour atteindre 100 pour cent de disponibilité des données, il faudra entre 39 (Erythrée) et 220 ans (Monaco). C’est tout simplement trop long. Nous devons intensifier de manière exponentielle des efforts énergiques pour permettre la disponibilité des données sexospécifiques (Figure 6).

Figure 5 (gauche). Les 10 pays avec le pourcentage le plus bas de disponibilité des données sexospécifiques pour les ODD, en juin 2022

Figure 6 (droite). Nombre d’années nécessaires pour atteindre 100 pour cent de disponibilité des données sexospécifiques pour les ODD en fonction du taux de progression de la disponibilité des données entre 2019 et 2022

 

Pour relever ces défis, auxquels sont confrontés tous les pays, le rythme des progrès doit être considérablement amélioré.

En moyenne, chaque pays doit progresser de 6 points de pourcentage chaque année pour atteindre 100 pour cent de disponibilité des données sexospécifiques d’ici 2030. Il reste encore beaucoup à faire. Même 7 ans après le début de l’Agenda 2030, il existe 14 indicateurs sexospécifiques pour lesquels aucune donnée n’a été communiquée pour aucun pays. Il s’agit, entre autres, des données sur les femmes survivantes de violences sexuelles (indicateurs ODD 5.2.2, 11.7.2), sur les femmes vivant en dessous de 50 pour cent du revenu médian et du seuil de pauvreté national (10.2.1 ; 1.2.1), et sur la rémunération horaire des femmes salariées (8.5.1).

Pour certains indicateurs clés, nous avons atteint une disponibilité des données de plus de 95 pour cent. Il s’agit notamment de la proportion de sièges occupés par des femmes dans les parlements nationaux (5.5.1) ; du taux de natalité chez les adolescentes (3.7.2) ; du taux de chômage (8.5.2) ; du taux de mortalité maternelle (3.1.1) et des accouchements assistés par du personnel de santé qualifié (3.1.2.).

Investissements, engagements et action

Malgré le besoin croissant de données sexospécifiques pour mieux comprendre et gérer les crises et les défis mondiaux en cours, les niveaux de financement sont faibles et restent bien en deçà des besoins. Le Rapport des partenaires sur le soutien à la statistique (PRESS) 2021 a révélé une tendance à la stagnation du financement des projets de données et de statistiques sur le genre des donateurs du Comité d’aide au développement (CAD), avec peu de changement dans le financement après une augmentation significative autour de 2015. Cependant, le dernier rapport de Data2X sur l’État du financement des données sur le genre en 2021 (State of Gender Data Financing 2021) révèle que jusqu’en 2030, 500 millions de dollars US seront nécessaires chaque année, soit le double de ce qui est actuellement alloué.

Nous devons redoubler d’efforts pour investir dans la production de données et l’utilisation de données sexospécifiques plus nombreuses et de meilleure qualité pour comprendre et traiter les effets à moyen et long terme des crises liées à la pandémie, à la guerre en Ukraine et au coût de la vie. Les données sont le meilleur moyen de stimuler une action politique fondée sur des données probantes et sensible au genre et de ne laisser personne de côté. L’édition 2022 de Progrès vers la réalisation des Objectifs de développement durable : Gros plan sur l’égalité des sexes rassemble les dernières données disponibles sur l’égalité des sexes pour les 17 objectifs, soulignant les progrès réalisés depuis 2015, mais aussi l’inquiétude persistante suscitée par la pandémie de COVID-19 et son effet immédiat sur le bien-être des femmes, y compris la menace qu’elle représente pour les générations futures.