Analyse de la société de services de soins : prise en charge des personnes et de la planète

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Des femmes dans la province du Sud-Kivu en République démocratique du Congo se regroupent de bon matin pour prendre soin des cultures sur pied qu’elles cultivent de manière collective. Un grand nombre d’entre elles travaillent tout en prenant soin de leurs enfants.
Des femmes dans la province du Sud-Kivu en République démocratique du Congo se regroupent de bon matin pour prendre soin des cultures sur pied qu’elles cultivent de manière collective. Un grand nombre d’entre elles travaillent tout en prenant soin de leurs enfants. Photo : ONU Femmes/Catianne Tijerina.

Les impacts des crises ne sont pas neutres au regard du genre. La prolongation des conflits et l’accélération des impacts du changement climatique n’ont fait qu’alourdir la charge des soins qui pèse sur les femmes et les filles. Quand cette charge augmente et que les systèmes publics ne peuvent pas soutenir la pression accrue, ce sont les femmes et les filles qui absorbent le plus gros du travail de soins

Le travail de soins – un bien public essentiel – sous-tend le bien-être et une économie florissante et durable. L’Objectif de développement durable 5.4 cherche à évaluer les soins et le travail domestique non rémunérés, à promouvoir le partage des responsabilités au sein des ménages ainsi qu’à fournir des services essentiels et une protection sociale. Pourtant, les femmes et les filles du monde entier assument une part disproportionnée du travail de soins – des tâches non rémunérées, non reconnues et non valorisées. 

Analyse de la société de services de soins : prise en charge des personnes et de la planète

L’intensification de la crise des soins pour les femmes sous l’effet du changement climatique

La dégradation de l’environnement et l’urgence du changement climatique à l’échelle mondiale exacerbent la crise mondiale des soins. Ces crises conjuguées peuvent frapper très durement les personnes disposant de peu de ressources, notamment les femmes autochtones, les minorités ethniques, les personnes vivant avec un handicap ou avec le VIH, les femmes d’origine africaine et les personnes LGBTIQ+ dans les États en développement et les petits États insulaires en développement. En moyenne, les femmes et les filles consacrent déjà trois fois plus de temps au travail de soins que les hommes et les garçons. Le changement climatique amplifie encore la charge inéquitable des tâches familiales et corvées ménagères non rémunérées qu’assument les femmes et les filles.  

Les femmes sont les plus touchées par les pénuries en eau

Les femmes et les filles responsables de la gestion des ressources et de la tenue de leur ménage, particulièrement celles qui vivent dans des zones rurales, sont très vulnérables aux chocs climatiques. Ce sont principalement les femmes et les filles qui sont chargées de fournir à leur famille de l’eau à des fins de consommation, de cuisson et d’assainissement. Quelque 1,8 milliard de personnes dans le monde dépendent d’eau potable dont la source est éloignée et, dans sept ménages sur dix n’ayant pas d’accès direct à l’eau, ce sont les femmes et les filles qui doivent aller en chercher

Le changement climatique a des incidences importantes sur les ressources en eau à l’échelle mondiale. La fréquence et la gravité des sécheresses augmentent, et les précipitations sont de plus en plus imprévisibles. 10 % de la population féminine mondiale, soit environ 380 millions de femmes et de filles, vivent dans des zones exposées à un stress hydrique élevé ou critique – un chiffre qui devrait atteindre 647 millions d’ici à 2050.   

Lors de sécheresses, les femmes et les filles doivent patienter dans de longues files d’attente et parcourir de longues distances à pied afin de collecter de l’eau pour leur famille. En Irak, les femmes consacrent jusqu’à trois heures par jour à la collecte d’eau. En Inde, les femmes et les filles passent plus de 50 minutes par jour à collecter de l’eau, contre quatre minutes seulement pour les hommes et les garçons.

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Chandra Kala Thapa, une petite exploitante agricole du village de Ranichuri dans le district de Sindhuli au Népal.
Chandra Kala Thapa, une petite exploitante agricole du village de Ranichuri dans le district de Sindhuli au Népal. Photo : ONU Femmes/Narendra Shrestha.

Les sécheresses exacerbent l’insécurité alimentaire pour les femme

Les femmes sont également exposées à une insécurité alimentaire plus importante par rapport aux hommes. Quand la nourriture se fait rare, les hommes et les garçons sont souvent nourris en premier et les femmes mangent en dernier et moins. Les sécheresses forcent de nombreuses femmes et filles à pratiquer l’agriculture de subsistance et des activités qui alourdissent leur charge de travail alors qu’elles luttent afin de trouver suffisamment de nourriture pour leur famille.

Les chocs climatiques augmentent la charge de travail non rémunéré assumée par les femmes et les filles en matière de soins de santé

L’impact de la hausse des maladies liées à la crise climatique sur les tâches de soins est disproportionné pour les femmes et les filles. Selon une étude réalisée à Delhi en Inde et à Dhaka au Bangladesh, les femmes consacraient en moyenne une heure de plus par jour à des tâches de soins quand un membre de leur famille contractait une maladie liée au changement climatique – par exemple, une maladie d’origine hydrique suite à des pluies torrentielles.

Les femmes enceintes sont confrontées à un risque accru de complications, notamment une fausse couche, en raison des sécheresses et des pénuries d’aliments.

Les femmes : les « sauveuses de la durabilité » non rémunérées

Par le passé, les femmes et les filles ont mené des activités visant à atténuer les effets du changement climatique, telles que la gestion des déchets, le reboisement et la réhabilitation des terres. Avec l’intensification des crises climatiques, le fardeau des actions de protection de l’environnement a encore accru les inégalités entre les genres et le nombre d’heures que les femmes et les filles passent à prendre soin de la planète.

Les femmes sont en première ligne de la justice climatique et des efforts en faveur de la durabilité, notamment parce que l’accès à un environnement sûr, propre, sain et durable est une question de vie ou de mort pour leur famille. Un grand nombre de femmes s’engagent dans l’action climatique parce qu’elles estiment qu’il est essentiel qu’elles assument leur rôle de principales pourvoyeuses de soins dans leur communauté. 

Malgré le rôle majeur des femmes dans la lutte contre les impacts du changement climatique, les défenseurs des droits humains des femmes sont confrontés à une escalade de la violence basée sur le genre ainsi qu’à des féminicides. En 2022, au moins 401 défenseurs des droits humains ont été tués, la plupart en Amérique latine, dont 17 % étaient des femmes. Les femmes se heurtent également à une résistance au sein de leurs communautés autochtones, qui les accusent de perdre leur temps à militer, ainsi qu’à de la diffamation, des menaces et des attaques physiques.

Qu’est-ce qu’une société de services de soins ?

Le monde est confronté à deux crises apparemment distinctes, mais qui sont profondément interdépendantes, dont les liens sont souvent ignorés dans les discussions sur le changement climatique.  

La première crise s’inscrit dans le cadre de la répartition invisible et inégale des tâches de soins non rémunérées, qui sont principalement assumées par les femmes et les filles. La deuxième est l’urgence climatique imminente caractérisée par une hausse des températures et l’urgence de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Bien que ces crises semblent être distinctes, elles sont inextricablement liées et requièrent notre attention et notre action collectives. 

Il est important de noter que seulement 11 % des contributions déterminées au niveau national (CDN) – les mesures et actions que les parties à l’Accord de Paris prévoient d’adopter pour réduire les émissions de gaz à effet de serre – tiennent compte des tâches de soins non rémunérées qu’assument les femmes et les filles, et seules les CDN du Cambodge prévoient des actions visant à réduire leur charge de travail

La soixante-sixième session de la Commission de la condition de la femme a averti que « les ressources naturelles et les écosystèmes, ainsi que le travail des femmes, sont tenus pour acquis et sous-évalués par les méthodes actuelles de mesure de la croissance économique telles que le PIB, alors qu’ils sont essentiels pour toutes les économies et le bien-être des générations actuelles et futures et pour la planète ». 

Dans ce cadre complexe, le concept d’une société de services de soins offre une alternative urgente au modèle économique et de développement actuel qui repose sur l’extraction et l’exploitation de ressources naturelles, de combustibles fossiles et de vies humaines. Une telle société valorise le rôle crucial des soins apportés aux personnes et à la planète. Il est essentiel de reconnaître la valeur irremplaçable des soins, de même que de remédier au fardeau des soins inéquitable qu’assument actuellement les femmes et les filles, et ce d’autant plus dans le contexte de l’urgence climatique. La fourniture de soins doit être une responsabilité partagée qui implique l’État, les marchés, les communautés et les familles.