Entretien avec Irene Cari : L’élévation des groupes de femmes autochtones et féministes en Argentine contre les violences sexuelles et les féminicides racistes
Le « chineo » est une pratique colonialiste raciste qui remonte à l’époque de la conquête des Espagnols, par laquelle des hommes blancs violaient collectivement des femmes autochtones ou des filles mineures en toute impunité.
Ce crime perdure dans de nombreuses régions de l’Argentine, et les mouvements d’autochtones et de féministes dans le pays se mobilisent pour y mettre fin.
« Le chineo porte atteinte à l’identité et à la dignité des femmes et des filles. Leurs sentiments sont rendus invisibles et réduits au silence », a déclaré Irene Cari.
ONU Femmes s’est entretenue avec Irene Cari, une militante autochtone de la province de Salta dans le nord de l’Argentine, au sujet de la violence à l’égard des femmes en Argentine et de la manière de la prévenir. En 2014, Mme Cari a fondé le Forum des femmes pour l’égalité des chances, une association qui soutient les femmes et les filles victimes d’abus, notamment d’abus sexuels. En 2022, elle a participé au Troisième Parlement des femmes autochtones et des diversités pour le bien-vivre à Salta, qu’ONU Femmes a soutenu. Elle a également été membre du Groupe consultatif de la société civile de l’Initiative Spotlight des Nations Unies, qui finance des programmes locaux innovants dont l’objectif est d’éliminer la violence à l’égard des femmes et des filles à l’échelle mondiale.
Justice pour les violences racistes et sexistes contre les femmes et les filles autochtones en Argentine
« Les voix des femmes autochtones ne peuvent pas être réduites au silence alors que ces violations sexuelles [persistent]…Ce n’est que depuis 2009, lorsque la Loi n° 26 485 a été adoptée, que nous pouvons parler davantage de ce problème. »
La Loi n° 26 485 pour la protection intégrale des femmes reconnaissait le droit des femmes à une vie sans violence ainsi qu’à un accès à une assistance juridique et à des soins complets.
Les recherches mondiales d’ONU Femmes montrent que les lois progressistes sont importantes – les pays qui ont adopté des lois visant à stopper la violence domestique enregistrent des taux inférieurs de violences infligées par un partenaire intime (9,5 % contre 16,1 %).
« Aujourd’hui, les femmes autochtones sont déterminées à briser les stéréotypes sexistes et racistes qui nous ont qualifiées de pauvres et d’invisibles et nous ont cataloguées comme ne parlant pas espagnol et ne portant pas de vêtements occidentaux. »
« Les droits des femmes sont des droits universels », a indiqué Mme Cari.
Les organisations de femmes comme le Forum des femmes pour l’égalité des chances et le réseau Las Macachas sont parvenues à mettre ce problème en avant dans le cadre de leurs activités de sensibilisation et de prévention.
Leurs efforts ont abouti à des résultats prometteurs : en 2014, l’État de Salta a déclaré une urgence sociale en raison de la violence de genre et a proposé des services aux personnes ayant survécu à des violences. Plus récemment, le gouvernement de Salta a dénoncé publiquement le « chineo » comme relevant d’abus sexuels sur des enfants, mais aucune loi ne porte spécifiquement sur ce crime.
Le mouvement des femmes demande à l’État de classer le « chineo » comme un crime haineux et un type de violence sexuelle systématique, punissable par la loi, et d’affecter des fonds en faveur du relèvement des victimes et en soutien aux efforts de prévention.
Lorsqu’elle est infligée librement, la violence à l’égard des femmes conduit à des féminicides – le meurtre délibéré de femmes en raison de leur sexe
« La violence est ancrée dans le quotidien des familles, ainsi que dans les pratiques sociales et culturelles de notre province », a déclaré Mme Cari. « La sous-estimation des femmes et l’emploi d’un langage violent à leur encontre sont normalisés. »
Mme Cari a évoqué certains cas dans lesquels les lois existantes ne permettent pas de protéger efficacement les femmes contre la violence basée sur le genre. Lorsqu’elle ne fait l’objet d’aucun contrôle, la violence ne fait que s’intensifier.
« Le cas de féminicide le plus récent est survenu lorsqu’une femme a appelé le numéro des urgences pour demander de l’aide en raison de menaces de la part de son ancien compagnon », a confié Mme Cari. « La police est arrivée sur les lieux, mais elle n’a pas réagi lorsque l’homme a pris la fuite. Quelques heures plus tard, il est revenu et a tué son ancienne compagne. »
Mme Cari souligne que les autorités ne prennent pas les mesures de prévention existantes et n’évaluent pas les risques lorsque des femmes portent plainte au sujet de violences.
Depuis une réforme juridique du Code pénal en 2012, le meurtre d’une femme dans le contexte de la violence basée sur le genre est passible de la prison à perpétuité, bien que l’Argentine ne dispose pas de loi spécifique sur les féminicides.
« Les féminicides n’ont pas cessé, alors qu’il est possible de les prévenir et de les éviter », déplore Mme Cari. « Sur l’ensemble de l’Argentine, 250 victimes de féminicides ont été enregistrées en 2023. Dans la province de Salta, 20 féminicides ont été commis jusqu’ici cette année. »
Mme Cari et d’autres féministes recommandent d’examiner les résultats de l’application des lois contre la violence basée sur le genre dans la province de Salta au cours des 10 dernières années et de transformer les politiques publiques en conséquence. Elles insistent également sur l’importance de l’autonomisation économique des femmes, « car l’instauration de l’égalité inclut la lutte contre la pauvreté chez les femmes. »
« Nous avons besoin de fonds pour promouvoir la participation des femmes – non seulement dans la formulation des politiques, mais également dans les élections », a-t-elle déclaré, soulignant la nécessité que des voix féministes appellent au renforcement des politiques pour freiner la violence basée sur le genre et les meurtres délibérés de femmes.
« Cela dit, les niveaux de violence et de harcèlement politique [à l’égard des femmes dans la politique] sont très élevés. Ce n’est pas facile d’être à la fois une femme, une politicienne et une autochtone. En élevant nos voix, nous nous exposons à de nouveaux féminicides. »