Les femmes rurales face à trois défis, sur fond de crise liée au coût de la vie

Dans les pays en développement, 71 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté en seulement trois mois, conséquence directe de la flambée mondiale des prix des denrées alimentaires et de l’énergie. L’impact de cette crise sur les niveaux de pauvreté est bien plus brutal que celle provoquée par la pandémie de COVID-19. La crise qui sévit actuellement, liée au coût de la vie, devrait toucher beaucoup plus durement les femmes, les inégalités salariales persistantes dont elles sont victimes et la sous-évaluation de leur travail constituant la cause principale de la charge financière plus lourde qu’elles doivent supporter. Les femmes sont généralement les premières dispensatrices de soins aux enfants et aux personnes âgées, et en temps de crise, elles perdent de manière disproportionnée leur emploi ou sont contraintes de rester à la maison. En l’absence d’un soutien adéquat de la part des pouvoirs publics, elles doivent souvent se battre seules et faire face à des conditions de plus en plus éprouvantes.

Les femmes rurales face à trois défis, sur fond de crise liée au coût de la vie

Image
Women in Tanzania harvesting seaweed. The Joint Programme on Women's Economic Empowerment (JP RWEE) will support rural women in improving production of seaweed using climate-smart agriculture. Photo: UN Women/Phil Kabuje
Women in Tanzania harvesting seaweed. The Joint Programme on Women's Economic Empowerment (JP RWEE) will support rural women in improving production of seaweed using climate-smart agriculture. Photo: UN Women/Phil Kabuje

Cette situation est particulièrement désespérée pour les femmes rurales qui, pour acquérir une indépendance et une stabilité financières, doivent surmonter de nombreux obstacles supplémentaires. Lorsqu’une crise frappe, les femmes rurales sont les plus durement touchées, en général en raison d’un accès insuffisant aux ressources, aux services et à l’information, de la lourde charge que représentent les soins non rémunérés et le travail domestique, et des normes sociales traditionnelles et discriminatoires qui persistent.

Pour aider les femmes rurales à assurer leurs moyens de subsistance et à renforcer leur résilience face à la crise, le Programme conjoint « Accélérer les progrès vers l’autonomisation économique des femmes rurales » – un partenariat unique entre l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA), l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes) et le Programme alimentaire mondial (PAM) – s'attaque aux obstacles auxquels elles sont confrontées, grâce à une approche holistique qui englobe les dimensions sociale, économique et politique de leur autonomisation. Ce programme conjoint est actuellement mis en œuvre au Népal, au Niger, en Tanzanie, en Tunisie, au Rwanda et dans les îles du Pacifique (Fidji, Kiribati, Îles Salomon, Tonga). 

Systèmes agricoles de plus en plus fragiles

Dans de nombreuses régions du monde, l’agriculture est le principal moyen de subsistance et une importante source de revenus pour la population rurale. C’est le cas en Tanzanie, où environ 80 pour cent des femmes dépendent de l’agriculture de subsistance pour se nourrir et nourrir leur famille, et aussi en Tunisie où 70 pour cent de la main-d’œuvre agricole du pays est composée de femmes.

Les femmes en milieu rural, qui souvent luttent pour sécuriser leurs propres terres et pour avoir le droit de les cultiver, sont confrontées à des difficultés démultipliées par les crises mondiales, les conflits et le changement climatique. En 2022, une chute importante de l’offre mondiale d’engrais, qui provient principalement de l’Ukraine et de la Russie, a rendu plus difficile la production de denrées alimentaires en quantités suffisantes. Cette pénurie vient s’ajouter à des problématiques plus anciennes, comme la perturbation des récoltes causée par des conditions météorologiques de plus en plus extrêmes et imprévisibles.

« Étant donné que 95 pour cent de l’activité agricole en Tanzanie dépend des précipitations, tout changement dans le régime des précipitations aura des effets considérables sur l’agriculture. Les communautés rurales dépendent à l'extrême de l’agriculture pluviale pour leurs moyens de subsistance, ce qui restreint leur capacité d’adaptation […] »

Cressida Mwamboma, coordinatrice nationale du Programme

Les changements climatiques affectent à la fois les ressources terrestres et les ressources marines. La hausse des températures augmentant le risque de perte irréversible des écosystèmes marins et côtiers, les communautés qui dépendent de l’océan pour leurs moyens de subsistance nécessitent un soutien accru. À Zanzibar, en Tanzanie, où l’aquaculture repose principalement sur la culture des algues, le niveau de la mer augmente, ainsi que sa température, ce qui affecte considérablement la production. Les îles du Pacifique sont également confrontées aux conséquences de plus en plus graves du changement climatique, telles que la raréfaction croissante de l’eau, l’élévation du niveau de la mer, l’érosion côtière et l’augmentation de la salinité de l’eau et des sols.

Le Programme conjoint « Accélérer les progrès vers l’autonomisation économique des femmes rurales » les aidera à améliorer la production d’algues, de sardines et d’autres produits en promouvant une agriculture intelligente face au climat, contribuant ainsi à transformer les systèmes agroalimentaires par le bais de pratiques écologiques et résilientes. Grâce à l’introduction de l’agriculture climato-intelligente, le programme contribuera au développement de pratiques agricoles locales axées sur la biodiversité, la résilience et les besoins nutritionnels des femmes rurales et de leur foyer.

Normes socio-culturelles restrictives

Dans de nombreux pays, les femmes et les filles rurales consacrent la majeure partie de leur temps aux soins et aux travaux domestiques non rémunérés. Et dans de nombreuses communautés rurales, les normes traditionnelles de genre continuent d’être fortement ancrées dans la vie quotidienne, les femmes étant censées assumer la majorité des tâches ménagères et la prise en charge des enfants. En Tanzanie, les femmes consacrent 3,7 fois plus de temps au travail domestique et aux soins non rémunérés que les hommes, et disposent donc de moins de temps pour exercer une activité rémunérée ou entreprendre. En Tunisie, les femmes – à qui des restrictions de mobilité s’imposent à certaines heures de la journée, et qui voient leurs relations avec des personnes ne faisant pas partie de leur cercle familial fortement limitées –, sont regardées comme des « assistantes » des travailleurs hommes, et non comme des employées à part entière. Ces traditions et croyances anciennes les empêchent d’assumer des rôles de direction et de s’exprimer, et nombre d’entre elles ignorent encore leurs droits.

Pour contribuer à une répartition plus équitable du travail non rémunéré et des responsabilités domestiques, le Programme conjoint propose de se rapprocher des hommes, notamment les chefs religieux et traditionnels, des autorités locales et des citoyens en général, pour promouvoir la reconnaissance politique et sociale du rôle des femmes. Dans de nombreux pays participants, il a pour but d’aider les parties prenantes à entretenir des relations plus équitables au sein du foyer, et à identifier et corriger les inégalités entre les sexes à ce niveau.

« La reconnaissance, la réduction et la redistribution des responsabilités liées au travail non rémunéré ont été soulignées comme un axe prioritaire pour le renforcement de l’autonomisation économique des femmes dans le Pacifique ».

Ovini Ralulu, coordinateur national du Programme
Image
A JP RWEE beneficiary in Tanzania. Photo: WFP/Imani Nsamila
A rural woman in Tanzania. The JP RWEE will support rural women in Tanzania in securing their livelihoods and building resilience in the face of crisis. Photo: WFP/Imani Nsamila

Accès limité aux services

Le manque d'accès aux services financiers, aux services publics et autres constitue un obstacle commun pour les femmes rurales, et ce dans le monde entier. Les inégalités entre les sexes, enracinées dans les systèmes patriarcaux et les normes sociales discriminatoires, font que les femmes ont moins de chances d’accéder aux services de vulgarisation agricole, aux marchés, à la terre et aux services financiers formels, en dépit de leur place essentielle dans le monde agricole. En Tanzanie, seulement 12,2 pour cent des femmes utilisent les services bancaires, contre 21,4 pour cent des hommes. Les femmes sont moins susceptibles d’avoir accès au crédit financier, aux prêts, à l’assurance sur les cultures, au bétail et à d’autres moyens de production, ce qui entrave leur parcours économique et les privent de la possibilité d’entreprendre. Ces obstacles sont souvent aggravés par un manque de connaissances en gestion financière et en affaires.

Dans tous les pays participants, le Programme conjoint offrira aux femmes rurales une formation en gestion commerciale et financière. En Tunisie, il permettra aux coopératives de femmes de commercialiser leurs produits par le biais de solutions numériques, par exemple des plateformes conviviales de marché électronique. En Tanzanie, il permettra d’établir et de renforcer les groupes d’épargne et de prêt gérés par les communautés afin de fournir aux femmes rurales et à leurs foyers un mécanisme pour accumuler de l’épargne et renforcer leur sécurité financière.

« Les organisations professionnelles nationales et locales jouent un rôle important dans le développement rural, mais elles n’ont fait que peu de progrès pour relever les défis auxquels sont confrontées les femmes rurales. Avec le soutien du Programme conjoint, nous allons renforcer les capacités des femmes rurales à accroître leur revenu et leur accès aux intrants, aux connaissances, au marché et au travail décent, et permettre aux institutions nationales concernées de mettre en œuvre les lois facilitant leur accès aux services financiers, tout en faisant progresser les droits fonciers des femmes en général. »

Malek Hayder, coordinateur national du Programme