Un nouveau rapport montre que le féminisme peut être un outil puissant dans la lutte contre le changement climatique

D’ici à 2050, le changement climatique risque de plonger jusqu’à 158 millions de femmes et de filles de plus dans la pauvreté et 236 millions de plus dans l’insécurité alimentaire. La crise climatique contribue à intensifier les conflits et les migrations, ainsi qu’une rhétorique politique discriminatoire et antidroit ciblant les femmes, les réfugiés et d’autres groupes vulnérables.

Ces tendances difficiles – et les moyens permettant de les inverser – sont présentées dans un nouveau rapport d’ONU Femmes intitulé « Feminist climate justice: A framework for action » (La justice climatique féministe : un cadre d’action).

Un nouveau rapport montre que le féminisme peut être un outil puissant dans la lutte contre le changement climatique

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Lors d’une manifestation dans le centre-ville de New York dans le cadre de la grève scolaire mondiale pour le climat #ClimateStrike en 2019, une participante crée une bannière portant la mention : « Climate Change is not the Change We Are Looking For »
Lors d’une manifestation dans le centre-ville de New York dans le cadre de la grève scolaire mondiale pour le climat #ClimateStrike en 2019, une participante crée une bannière portant la mention : « Climate Change is not the Change We Are Looking For » (Le changement climatique n’est pas le changement que nous recherchons). Photo : ONU Femmes/Amanda Voisard

Le rapport montre que le changement climatique ne fait qu’amplifier les crises à l’échelle mondiale, depuis les inégalités économiques jusqu’aux impasses géopolitiques, avec des incidences disproportionnées sur les femmes et les filles. Il appelle à clarifier la vision de la justice climatique féministe en intégrant les droits des femmes dans la lutte mondiale contre les catastrophes environnementales.

La vision de la justice climatique féministe est celle d’un monde dans lequel toutes les personnes peuvent bénéficier de l’ensemble des droits humains, sans discrimination, et s’épanouir sur une planète en bonne santé et durable. Le rapport articule cette vision autour de quatre « R » :

Reconnaître les droits, le travail et le savoir des femmes

Les politiques doivent reconnaître que les femmes peuvent offrir un savoir et une expertise uniques – notamment parmi les populations autochtones, rurales et de jeunes – qu’il est possible d’utiliser en soutien à une action climatique efficace.

Les femmes et les filles du monde entier ont été en première ligne du militantisme climatique et ont appliqué diverses méthodes pour protéger l’environnement et contrer les programmes d’extraction aux impacts préjudiciables. Des femmes agricultrices ont également établi des coopératives et des groupes afin de partager leur charge de travail et d’accroître leur productivité et leurs revenus.

Les politiques doivent s’appuyer sur ces réussites tout en reconnaissant également que les femmes assument des responsabilités disproportionnées en termes de soins, qu’elles disposent de moins de ressources économiques que les hommes et que leurs niveaux d’alphabétisation et d’accès aux technologies sont plus faibles. Le changement climatique ne fait qu’exacerber ces inégalités. 

Le fardeau existant des tâches familiales non rémunérées s’alourdit avec l’augmentation des prix des aliments due aux mauvaises récoltes, ou quand la hausse des températures accroît les besoins en soins de santé des membres de la famille. Les filles vivant dans des zones exposées aux sécheresses sont davantage susceptibles d’abandonner leur scolarité. Les gouvernements doivent s’assurer que les besoins et les droits des femmes et des filles sont intégrés dans les politiques sur la réponse aux catastrophes, la violence basée sur le genre, la production d’aliments, l’économie, la discrimination sociale et d’autres sujets qui se recoupent avec la crise climatique.

Redistribuer les ressources économiques

Le rapport estime que pour inverser le changement climatique, il faudra réaffecter les ressources destinées aux activités extractives et néfastes pour l’environnement au profit d’activités privilégiant la prise en charge des personnes et de la planète.

Les politiques doivent veiller à ce qu’une transition vers une économie verte promeuve l’accès des femmes aux opportunités d’emploi, aux terres, à l’éducation et aux technologies. Les systèmes de protection sociale financés publiquement doivent soutenir le bien-être économique et social des femmes et des filles et leur résilience face au changement climatique.

Par exemple, non seulement les programmes alimentaires dans les écoles aident à alléger le fardeau des tâches non rémunérées assumé par les femmes en donnant aux enfants des aliments nutritifs, mais ils soutiennent également la politique climatique féministe en s’approvisionnant en repas auprès de petites exploitantes agricoles soucieuses de l’environnement.

Représenter les voix et la capacité d’action des femmes

Les défenseurs des droits humains des femmes, les groupes féministes et d’autres acteurs appelant à une approche sensible à la dimension du genre dans le cadre du changement climatique doivent être intégrés dans la formulation de politiques environnementales à tous les niveaux.

Actuellement, les femmes sont sous-représentées dans les ministères chargés de la protection de l’environnement au niveau national. Bien que la représentation des femmes au sein des délégations nationales participant aux Conférences des parties des Nations Unies sur le climat ait augmenté de 30 % en 2012 à 35 % en 2022, la proportion de délégations dirigées par des femmes a légèrement baissé, passant de 21 à 20 % au cours de la même période.

L’un des exemples prometteurs présentés dans le rapport est celui de La Via Campesina, une organisation mondiale représentant quelque 200 millions d’agriculteurs, de travailleurs ruraux et de paysans. Au sein de l’organisation, les femmes et les personnes aux identités de genre diverses ont établi une Assemblée des femmes qui travaille à garantir une parité des genres, intègre une approche fondée sur le genre dans les demandes des groupes et permet à ces derniers de participer aux décisions sur les systèmes alimentaires et le climat à chaque niveau, depuis les communautés locales jusqu’au système des Nations Unies.

Réparer les inégalités et les injustices historiques

Les engagements financiers en faveur de la lutte contre le changement climatique doivent privilégier les personnes et les pays les plus à risque. La réponse à la crise climatique nécessitera de s’attaquer aux inégalités existantes et aux injustices historiques.

Il s’agit par exemple de la question de la dette climatique – à savoir, le fait que depuis 1850, les pays de l’hémisphère nord ont contribué à 92 % des excès d’émissions à l’échelle mondiale. Pour remédier à ce déséquilibre, le rapport appelle les pays riches à honorer leurs engagements en termes de financement de programmes de lutte contre le changement climatique et à s’assurer que les fonds parviennent aux pays les plus vulnérables et aux organisations de femmes locales.

Bien qu’il ait été convenu lors de la Conférence des parties (COP) en 2022 de créer un fonds destiné à couvrir les pertes et les dommages, les contributions sont volontaires et aucun mécanisme n’a été mis en place pour responsabiliser les pays riches relativement aux dommages environnementaux historiques et à leurs conséquences – par exemple, la perte de terres, de logements et de récoltes en raison de phénomènes météorologiques extrêmes. 

Toutefois, les réparations financières ne sont que l’un des volets du programme : les pays riches doivent également apporter des réponses aux conséquences non économiques du changement climatique, telles que les niveaux accrus de violence basée sur le genre et de tâches domestiques non rémunérées, ainsi que les déplacements de populations hors de leurs terres ancestrales suite à la perte de leur patrimoine culturel et de leur savoir.

 

La prochaine étape

La COP28 sur le climat, qui inaugure le Bilan mondial, est un jalon essentiel dans la responsabilisation des pays relativement à leur action climatique.

Lors de cette conférence, ainsi que dans tous les autres espaces où les politiques climatiques sont examinées et mises en œuvre, les dirigeants et les responsables politiques doivent veiller à ce que leurs réponses aux défis environnementaux tiennent également compte des besoins et des droits des femmes et des filles du monde entier.

En collaboration avec les partenaires, ONU Femmes prévoit d’élaborer un nouvel outil – la fiche d’évaluation des politiques sur l’égalité des genres et le climat – en vue d’assurer un suivi systématique des politiques climatiques nationales sensibles au genre, ce qui jettera des bases solides pour les futures politiques climatiques tenant compte de la dimension du genre.

Les recommandations figurant dans le rapport sur la justice climatique féministe ne sont que les premières étapes vers des réponses climatiques mondiales intégrant des politiques sensibles au genre. Il est essentiel de poursuivre l’intégration des objectifs féministes dans la réponse mondiale à la crise climatique.