Entretien : « En tant que femme de science, j’ai pour mission de sensibiliser le grand public et de contribuer à une prise de décisions éclairées. »

La Dre Aiymgul Kerimray est chercheuse et défenseuse de l’environnement de haut niveau à l’université kazakhe nationale Al-Farabi d’Almaty, au Kazakhstan. À l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, ONU Femmes s’est entretenue avec Aiymgul Kerimray à propos de ses recherches sur la précarité énergétique et la qualité de l’air en zone urbaine, et leurs répercussions sur l’égalité des sexes.

Entretien : « En tant que femme de science, j’ai pour mission de sensibiliser le grand public et de contribuer à une prise de décisions éclairées. »

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Aimgul Kerimray.  Photo: Yuliya Goryuchkina.
Dr. Aimgul Kerimray. Photo: Yuliya Goryuchkina.

Quelle est votre mission ?

L’an dernier, j’ai essentiellement travaillé sur la précarité énergétique et la qualité de l’air en zone urbaine. En tant que femme de science, j’ai pour mission de sensibiliser le grand public et de contribuer à la prise de décisions éclairées en réalisant et en présentant mes recherches. Chaque fois que nous présentons le résultat de nos recherches au grand public, nous faisons part d’observations et de données permettant de mieux comprendre et d’analyser les problèmes actuels. Nous avançons également des recommandations et des suggestions de politiques à mettre en œuvre afin de faire face aux problèmes soulevés.

Sensibiliser les expertes et experts, la société civile, les leaders d’opinion, les décideuses et décideurs fait également partie de mon travail. Avec ma collègue, la docteure Nassiba Baimatova, nous avons lancé la chaîne Telegram « Air Quality Science » sur laquelle nous diffusons nos commentaires et analyses et publions des actualités en lien avec des documents de recherche revus par des pairs internationaux sur la qualité de l’air et le changement climatique. Nous faisons également part d’enseignements tirés d’expériences dans d’autres pays tentant d’améliorer la qualité de l’air. Nous puisons des informations essentiellement dans des études revues par des pairs, car nous souhaitons contribuer à la diffusion de connaissances prouvées scientifiquement. Nous œuvrons en faveur d’une vulgarisation des sciences de l’environnement.

Quels sont les coûts de la pollution de l’air ?

On pense trop souvent que les technologies vertes coûtent cher et que nous ne pouvons pas nous les payer. C’est vrai, mais seulement en partie. Car il faut aussi mesurer l’ensemble des dégâts causés par la pollution de l’air et procéder à une analyse coûts / bénéfices. Il est scientifiquement prouvé qu’une exposition chronique aux particules fines entraîne des risques accrus de décès prématurés d’un cancer du poumon, de maladies respiratoires et cardiovasculaires, etc. La pollution de l’air, en plus d’avoir des effets néfastes sur les poumons, nuit au développement neurologique des enfants et accroît les risques de démence chez les personnes âgées.

Une étude de 2015 réalisée par l’OMS et l’OCDE, basée sur des données de 2010, a révélé que la pollution de l’air au Kazakhstan est à l’origine de 10 064 décès prématurés chaque année. Au Kazakhstan, l’on estime que la mortalité due à la pollution de l’air en intérieur s’élève à 5 763 décès par an et le coût économique de la pollution de l’air en intérieur et en extérieur à 29,2 milliards USD par an, ce qui représente 9,3 pour cent du PIB (sur la base de données datant de 2010). Nous devons donc mener des campagnes de sensibilisation pour informer la population des effets néfastes de la pollution de l’air sur la mortalité et la morbidité. De nombreuses études de par le monde ont démontré que la pollution de l’air, y compris celle au sein des foyers (utilisation de gazinières par exemple) peut avoir des effets néfastes sur les femmes enceintes et les naissances, et devenir un facteur déclencheur de cancers du sein, d’hémopathies et de maladies cardiovasculaires. Nous devons absolument mener des recherches de ce type également au Kazakhstan.

Quels sont les effets de la précarité énergétique chez les femmes au Kazakhstan ?

L’étude que nous avons menée au Kazakhstan a révélé que la précarité énergétique sévit avant tout dans les zones rurales, dans des régions qui ne sont pas reliées aux réseaux de gazoducs. J’estime qu’à l’avenir, il faut mener des études afin d’évaluer dans quelle mesure la précarité énergétique frappe les différentes tranches de la population, notamment les femmes, car ce sont elles qui passent généralement le plus de temps au sein du foyer, et elles sont les plus susceptibles de subir la pollution de l’air en intérieur en raison de l’usage qu’elles font des cuisinières au charbon. Il faut davantage informer les femmes de l’existence d’autres moyens plus propres de cuisiner et leur expliquer les effets néfastes des combustibles sales sur leur santé et celle de leurs enfants. La transition vers des énergies plus propres renforce l’autonomisation des femmes en réduisant le temps qu’elles passent en cuisine et a des effets bénéfiques sur la santé. Mieux comprendre les questions de genre en lien avec l’utilisation de certains combustibles pour la cuisine et le chauffage permet également de parler des avantages d’une transition vers des énergies plus propres.

Le gouvernement doit lutter contre la précarité énergétique, avec une extension du réseau de gazoducs, des subventions aux raccordements aux gazoducs ou à l’achat de chaudières à gaz à l’attention des foyers vulnérables et à faible revenu, le programme de remplacement des poêles à charbon dans les régions reculées, des programmes d’intervention en faveur de l’efficacité énergétique au sein des foyers, le respect strict des normes d’isolation des bâtiments, des campagnes de sensibilisation en faveur d’énergies plus propres, l’interdiction progressive de l’usage du charbon par les foyers en ville, etc.

Comment pouvons-nous accroître le nombre de femmes dans les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques (STIM) ? 

Selon moi, il faut améliorer les conditions de vie des mères actives. Par exemple, il faut aménager les lieux de travail pour qu’ils puissent accueillir les enfants de parents actifs. Très souvent, les mères ne peuvent pas travailler, car les frais de garde sont trop élevés. Les salaires au Kazakhstan sont très bas, notamment dans le domaine des sciences. De même, il faut que notre société assimile l’idée que les hommes peuvent aussi réaliser des tâches domestiques. En Asie centrale, cela est rare. Vu ces conditions, les femmes qui souhaitent faire carrière dans les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques doivent faire face à de nombreuses difficultés. En outre, les gouvernements devraient définir des quotas de femmes dans les postes de dirigeants dans les STIM.

Qu’est-ce qui vous inspire le plus dans votre travail ?

Je reçois souvent des courriels d’étudiantes et étudiantes, de chercheuses et chercheurs du monde entier avec des questions sur mes articles de recherche. Je prends conscience que nombreux sont ceux et celles qui lisent mes études et utilisent les résultats de nos recherches dans les leurs. Cela est pour moi une grande source d’inspiration et me donne l’impression que mon travail est non seulement important, mais également utile.