Déclaration de Michelle Bachelet: Stratégies parlementaires visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes et des filles

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Mesdames, Messieurs, bonjour. Je vous souhaite la bienvenue à tous.

Je tiens à saluer la Présidente de cette réunion, Mme Kadaga, Présidente du Parlement de l’Ouganda, et M. Radi, Président de l’Union parlementaire internationale (UPI).

C’est toujours avec beaucoup de plaisir que je rencontre les parlementaires du monde entier durant la Commission annuelle sur la condition de la femme.

Ce à quoi j’attache le plus d’importance pendant notre réunion est la possibilité d’échanger avec vous tous des informations et des idées sur les questions à l’examen, et je suis convaincue qu’une perspective parlementaire diverse et riche guidera nos délibérations.

Je voudrais dans le même temps saluer la relation de longue date et constructive qui existe entre l’ONU et l’UPI, s’agissant de l’examen de questions d’une aussi grande portée que la participation politique des femmes et l’égalité des sexes. Je me réjouis de faire fond sur cette relation.

Aujourd’hui, au XXIe siècle, nous nous trouvons à un point de non-retour de notre histoire.

L’élan pour mettre fin à la violence contre les femmes n’a jamais été aussi soutenu et aussi public.

Nous n’avons jamais disposé de la visibilité mondiale et instantanée que nous procurent en quelques secondes les nouvelles technologies qui nous permettent d’enregistrer et de communiquer, en temps réel, les atrocités commises dans les différents pays du monde.

Nous n’avons jamais assisté à une indignation aussi publique et générale et jamais entendu tant d’appels au changement et à l’action.

Où que nous vivions, nous sommes tous témoins de l’effroyable violence sans cesse commise contre les femmes et les filles. Cela n’a rien à voir avec votre nationalité, votre classe sociale, votre religion – la violence demeure trop insidieuse et ne connaît aucune frontière.

Après les terribles tragédies publiques qui se sont produites au cours de l’année écoulée, des hommes, des femmes et des jeunes hommes ont fait entendre leurs voix en criant : ça suffit ! Bien des personnes exigent la fin de l’impunité et la protection des droits des femmes et des filles pour leur permettre de vivre à l’abri de la violence. Ces personnes se battent, car nous sommes à l’aube de transformations sociales radicales grâce auxquelles – c’est mon plus grand espoir – l’égalité des sexes pourra enfin devenir une réalité pour tous.

Nous savons – et je l’ai dit maintes fois – que la violence à l’encontre des femmes est la violation des droits de l’homme la plus répandue, celle qui a également le plus mauvais bilan en matière de justice rendue.

Cette année, la présente Commission de la condition des femmes examine ce thème prioritaire, – une chance unique qui lui est offerte. Il lui faut absolument convenir de la meilleure manière d’aller de l’avant. Cette marche en avant doit indiquer que la violence à l’encontre des femmes n’est jamais acceptable et que les États membres ne peuvent plus continuer à fermer les yeux sur des crimes tels que les violations des droits de l’homme.

Il ne sert à rien de nous lamenter publiquement des décès de femmes violées sauvagement, d’une jeune femme brutalement abattue parce qu’elle revendiquait le droit à l’éducation pour les filles : nous devons agir, nous devons agir maintenant et nous devons agir ici dans l’enceinte de la Commission de la condition de la femme.

À l’occasion de la cinquante-septième session de la Commission de la condition de la femme, les conclusions convenues auxquelles nous parviendrons ne se contenteront pas de réaffirmer, elles devront respecter les normes et standards existants en matière d’élimination de la violence à l’encontre des femmes et des filles. Nous devons aller plus loin si nous voulons préserver la confiance de centaines de millions de femmes et de filles, voire de milliards de filles, qui attendent de nous que nous fassions preuve de courage pendant ces deux semaines.

Les conclusions doivent avoir suffisamment « d’impact » pour prendre des mesures et les mettre en œuvre. Cela signifie que les États doivent les appuyer avec des plans, des politiques, des législations et des budgets efficaces.

En tant que parlementaires, votre participation et celle de vos collègues, partout dans le monde, est essentielle à la réalisation de cet objectif. Vous avez inscrit l’élimination de la violence à l’encontre des femmes à l’ordre du jour politique et je remercie l’UPI du rôle important qu’elle a jouée à cet égard.

Un changement législatif est indispensable pour mettre fin à cette épidémie de violence, et c’est à vous, les représentants du peuple, qu’il incombe de traduire cela en actes et de faire une vraie différence dans la vie des femmes et des filles.

Au nom des femmes rescapées de la violence et des multitudes de femmes anonymes qui ont souffert, qui souffrent encore, et de celles qui ont perdu leur vie à cause de la violence, je vous remercie de vos efforts et je voudrais proposer quatre manières concrètes pour vous aider à prévenir et éliminer cette effroyable violence.

Premièrement, les parlements doivent élaborer et promulguer des lois qui criminalisent la violence. Aujourd’hui, deux tiers des pays disposent d’une législation qui criminalise la violence conjugale par exemple.

Mais ce n’est pas suffisant. Tous les pays doivent disposer d’une législation qui criminalise la violence à l’encontre des femmes, toutes les formes de violence, dans toutes les sphères. Les parlements doivent recenser les lacunes et modifier la législation peu contraignante.

Par exemple, après l’horrible viol et le décès d’une jeune Indienne et l’immense indignation publique que ces actes ont suscitée, le gouvernement a pris des mesures. Un panel a été nommé pour renforcer la loi pénale dans les cas d’agressions sexuelles contre les femmes.

Présidé par l’ancien Président du tribunal J. S. Verma, le panel a proposé de prévoir des sanctions criminelles contre plusieurs formes de violences, notamment le harcèlement, le voyeurisme, les agressions contre les femmes, ainsi que contre les responsables militaires ou de police qui ne sont pas capables de contrôler leurs subordonnés auteurs de viols.

Ces nouvelles propositions contribueront grandement à renforcer les lois indiennes actuelles qui interdisent tout « attentat à la pudeur », mais ne définissent pas des comportements off-limit spécifiques.

Lors d’une conférence de presse tenue en janvier, M. Verma a déclaré : « Se préoccuper des viols qui ont déjà eu lieu n’est pas la solution. Il faut lutter contre les premières manifestations de violences, qui se transformeront en agressions sexuelles aggravées ».

Je vous exhorte donc tous à examiner et renforcer les lois promulguées dans vos pays afin de mettre fin à la violence à l’égard des femmes.

Deuxièmement, les parlements jouent un rôle clef dans le suivi et la mise en œuvre de la législation existante et nouvelle.

Lorsque les lois ne sont pas mises en œuvre, ou sont mises en œuvre négligemment ou de manière incohérente, nous nous trouvons face à un échec de la gouvernance, l’incapacité de répondre aux droits et aux besoins des populations et, dans ce cas, l’incapacité de protéger les femmes et les filles contre la violence.

C’est un domaine où la coordination et les partenariats avec d’autres parties prenantes peuvent faire toute la différence.

Les parlementaires peuvent utiliser leurs bons offices pour encourager la participation d’agents de police, de procureurs, de juges, de prestataires de la santé, de travailleurs sociaux, d’hommes d’église et de dirigeants communautaires afin de lutter de concert et se tenir mutuellement responsables. Éliminer la violence à l’encontre des femmes nécessite un engagement sans faille de tous les secteurs de la société.

Troisièmement, une mise en œuvre réussie de la législation repose sur la sensibilisation accrue de la société à la violence contre les femmes. Aujourd’hui, la toile Internet mondiale et les médias sociaux sont de ce point de vue d’une grande aide.

Mais les parlementaires ont également un rôle important à jouer. Vous pouvez aider à sensibiliser les personnes et façonner l’opinion publique. Vous disposez du pouvoir que vous confère la parole.

Vous pouvez faire participer la communauté dans son ensemble à un débat ouvert sur le changement des normes et des comportements sociaux et faire comprendre que la violence à l’égard des femmes est inacceptable, qu’elle ne sera pas tolérée et que les auteurs seront traduits en justice.

Quatrièmement, le parlement est responsable de l’élaboration et de l’approbation du budget. Ceci est indispensable à l’accomplissement de progrès concrets.

Nous savons tous trop bien combien l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Une loi n’est efficace que s’il existe des ressources financières et humaines pour la mettre en œuvre.

De nombreux plans d’action ou lois sont promulgués sans un appui budgétaire, sans « l’impact » que j’ai mentionné précédemment. Ce qui veut dire que, en fait, cela ne change rien.

Pour qu’une loi soit suivie d’effet, elle doit disposer d’une assise financière. Et ces exigences financières doivent être prises en compte dans les allocations budgétaires. Les femmes et les filles du monde entier comptent sur vous pour fournir ces budgets. Et moi aussi.

Pour terminer, je tiens à réaffirmer vigoureusement la détermination d’ONU Femmes à travailler aussi dur que possible, avec les moyens limités dont nous disposons tout en faisant entendre notre voix, pour mettre un terme à la violence à l’encontre des femmes et des filles, tant dans l’espace public que dans l’espace privé.

Nous avons travaillé à l’élaboration de compagnes mondiales pour attirer l’attention du public sur le problème et mobiliser toutes les parties prenantes pour éliminer cette violence.

Par exemple, la campagne du Secrétaire général de l’ONU Tous UNiS pour mettre fin à la violence à l’encontre des femmes met à juste titre en exergue le rôle des hommes et des garçons dans l’élimination de la violence.

Et les résultats se font sentir. Un jeune Tanzanien, tout à fait exceptionnel, a par exemple été si touché par les témoignages qu’il a lus sur la violence à l’égard des femmes qu’il a participé à la compétition de T-shirts mondiale Tous UNiS l’année dernière et l’a remportée.

Il mobilise aujourd’hui d’autres hommes grâce à la « Caravane pour le changement » qui sensibilise le public à la violence à l’égard des femmes et des filles dans son propre pays.

Nous coordonnons également le Fonds d’affectation spéciale pour mettre fin à la violence contre les femmes qui, à la fin de 2012, incluait 95 programmes actifs dans 85 pays et territoires.

Parmi les bénéficiaires se trouve le Conseil de population, qui fournit aux filles autochtones du Guatemala des systèmes GPS afin de créer des cartes qui indiquent quelles sont les zones considérées comme sûres et celle considérées comme risquées. Les dirigeants locaux utilisent des cartes pour améliorer la planification municipale, y compris les dispositifs d’éclairage, les patrouilles de police, etc.

Nous savons en outre que la violence à l’encontre des femmes et des filles affecte des familles, des communautés et des villes entières.

Nous avons donc également élaboré un programme mondial « Villes sûres à l’abri de la violence à l’encontre des femmes et des filles », qui adopte une approche globale sur cette question.

Le dialogue et la collaboration entre les parties prenantes, y compris les parlementaires, sont indispensables à l’établissement d’un consensus sur des actions concrètes pour mettre fin à la violence à l’encontre des femmes et des filles.

Les parlementaires sont, par définition, ici pour servir l’intérêt public et les citoyens : vous avez été élus pour servir tous les citoyens. Je vous demande donc de ne jamais oublier que les femmes et les filles que vous servez – de fait, toute l’humanité – ont placé leurs espoirs et leur confiance en vous. Les actions comptent toujours plus que les mots et je compte sur votre passion et votre engagement pour que nous puissions ensemble laisser derrière nous l’histoire de la violence.

Je vous remercie.