Questions-réponses : Au rythme actuel, l’égalité salariale ne se concrétisera pas avant 2069
À l’échelle mondiale, les salaires que perçoivent les femmes sont encore inférieurs de 23 pour cent à ceux que gagnent les hommes. Chidi King, directrice du Département égalité de la Confédération syndicale internationale (CSI), la principale organisation syndicale internationale représentant les intérêts des travailleuses et travailleurs du monde entier, et membre de l’initiative « Champions de l’égalité salariale » d’ONU Femmes et de l’Organisation internationale du Travail (OIT), examine le problème.Date:
Dans le monde, l’écart des salaires entre les hommes et les femmes représente un taux mondial de 23 pour cent. Quelle est la cause d’un tel écart ?
L’écart mondial des salaires entre les hommes et les femmes reflète la persistance des inégalités entre les sexes dans nos sociétés et sur nos lieux de travail. Les normes sociales et culturelles qui, de manière générale, assignent des rôles de décideurs aux hommes et des rôles de fournisseuses de soins aux femmes ont une incidence considérable – non seulement sur les types d’emplois rémunérés vers lesquels les femmes sont orientées – mais également sur la valeur qui est attribuée aux emplois et sur leurs niveaux de rémunération.
Lorsque les femmes accèdent au marché du travail rémunéré, le travail rémunéré qu’elles exécutent et leur rôle en tant que travailleuses sont souvent considérés comme subsidiaires ou complémentaires à leur rôle principal de « femmes au foyer ». Cela affecte par conséquent la manière dont les femmes sont rémunérées. Même lorsque les femmes possèdent des qualifications équivalentes ou supérieures à celles des hommes, la valeur accordée à leurs compétences n’est pas la même que celle dont bénéficient les hommes, et les femmes progressent plus lentement dans leur carrière professionnelle.
« Pour combler l’écart des salaires entre les hommes et les femmes, il est nécessaire de mettre en place un ensemble de mesures axées sur le travail décent »
- L’un des moyens les plus efficaces et les plus rapides permettant de réduire l’écart des salaires entre les hommes et les femmes consiste à instaurer des salaires minimums vitaux.
- De tels salaires doivent reposer sur : une protection sociale universelle dont les travailleurs exerçant dans l’économie formelle et informelle peuvent également bénéficier – la sécurité de revenu pour les chômeurs et les personnes sous-employées (dont la majorité est encore une fois des femmes), des congés de maternité rémunérés, des services de garde d’enfants et autres services d’assistance sociale et de soins de santé, une assurance contre la perte de revenus imputable à une maladie ou à des blessures professionnelles et des pensions de retraite adéquates.
- Il faut s’assurer que les travailleuses et travailleurs jouissent de la liberté d’association et qu’ils disposent du droit de s’organiser et du droit de négociation collective.
- Il faut mettre en place des services publics de garde d’enfants et de soins gériatriques de qualité, des politiques en faveur de lieux de travail adaptés aux besoins des familles et des mesures politiques encourageant les hommes à partager les responsabilités de dispense de soins.
- L’instauration d’une transparence dans les critères et les décisions des entreprises concernant les salaires peut également contribuer à prévenir les préjugés sexistes.
Cela dit, la raison principale à l’origine de l’écart des salaires entre les hommes et les femmes est que la concentration des emplois des femmes a tendance à être différente de celle des hommes ; et la valeur attribuée aux emplois est souvent fonction du sexe. Afin de garantir « un salaire égal pour un travail de valeur égale », nous devons tenir compte du fait qu’un emploi dans le secteur de la construction – dominé par les hommes – peut par exemple revêtir une valeur objective identique ou similaire (en matière de compétences, d’efforts, de responsabilités et de conditions de travail) à celle d’un emploi dans le secteur des services de garde d’enfants à dominante féminine. Pourtant, les emplois dans le secteur des services de garde d’enfants – dominé par les femmes – sont presque toujours moins rémunérés. La valeur que nous attribuons aux différents types d’emplois doit changer – ce que reconnaît la Convention 100 de l’Organisation internationale du Travail (OIT), qui remonte à 1951.
Il y a-t-il des femmes et des secteurs qui sont davantage affectés que d’autres par l’écart des salaires entre les hommes et les femmes ?
Il se peut que les femmes travaillant dans les secteurs dominés par les hommes perçoivent des salaires supérieurs à ceux des femmes qui occupent des emplois dans les secteurs dominés par les femmes, mais l’écart des salaires entre les hommes et les femmes n’en perdure pas moins dans tous les secteurs. Au Royaume-Uni par exemple, on estime que les femmes occupant des postes de direction dans le secteur des services financiers perçoivent des salaires de jusqu’à 39,5 pour cent inférieurs à ceux de leurs homologues masculins[1].
Dans l’ensemble, les femmes occupant des emplois formels sont confinées dans une gamme de secteurs et de professions plus restreinte. Une étude menée en 2006 par l’OIT sur les tendances concernant les femmes au travail a confirmé que, dans les pays à revenus élevés et moyens de la tranche supérieure, les travailleuses sont concentrées dans les secteurs de l’enseignement, des soins infirmiers, des soins de santé, des emplois de bureau et administratifs, des ventes et des services[2]. Ce sont ces secteurs qui sont généralement sous-évalués et sous-rémunérés, précisément en raison du nombre élevé de femmes qui y travaillent.
En outre, les femmes sont surreprésentées dans les emplois peu rémunérés, précaires et souvent dangereux au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales, en particulier dans les secteurs de l’agriculture, du textile et du vêtement. En réalité, la majorité des femmes dans le monde – jusqu’à 80 pour cent[3] dans certaines régions – travaille dans l’économie informelle, où non seulement il est rare qu’elles puissent accéder à des salaires décents, à des conditions de travail sûres et à des systèmes de protection sociale tels que des services de soins de santé, un système de protection maternelle et des congés payés, mais où elles perçoivent également des salaires inférieurs à ceux que gagnent les hommes qui travaillent dans ce secteur.
Les inégalités fondées sur la race et sur d’autres critères contribuent également à creuser l’écart des salaires pour les femmes de couleur ou appartenant à des groupes marginalisés. Comme l’a révélé une étude menée récemment au Canada, les salaires que perçoivent les femmes de couleur représentent 68 pour cent de chaque dollar que gagnent les femmes blanches et 79 pour cent de chaque dollar que gagnent les hommes noirs[4]. Des études menées aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud présentaient des résultats similaires.
De manière générale, le monde du travail tel que nous le connaissons s’articule encore autour du modèle de l’homme « gagne-pain de la famille », caractérisé par de longues et dures heures de travail. Quand une femme devient mère, elle est soumise à la « pénalité de la maternité » – pour équilibrer les responsabilités familiales et le travail rémunéré, les femmes doivent accepter des emplois à temps partiel, précaires ou sous-rémunérés, ou encore travailler dans l’économie informelle. Lorsqu’elles sont enceintes, les femmes risquent également d’être confrontées à une discrimination, qui peut déboucher sur un licenciement, sur des actes de harcèlement visant à les inciter à démissionner ou sur une rétrogradation à leur retour au travail. Par ailleurs, le temps que les femmes consacrent à la prise en charge de leurs enfants freine également la progression de leur carrière professionnelle.
Quelles sont les conséquences à court et à long terme de l’écart des salaires entre les hommes et les femmes ?
L’indifférence face à la discrimination et aux inégalités qui règnent sur le marché du travail, notamment en ce qui concerne l’écart salarial entre les hommes et les femmes, ne fait qu’augmenter le nombre déjà inacceptable de travailleuses en situation de pauvreté et entraîne une hausse du nombre de femmes qui à la retraite se retrouvent dans la pauvreté. L’une des incidences à long terme de l’écart des salaires entre les hommes et les femmes au cours de la vie active d’une femme est l’énorme écart entre la retraite qu’elle touchera et celle dont bénéficieront ses homologues masculins. Certaines données factuelles démontrent que, partout dans le monde, le nombre de femmes âgées vivant dans une pauvreté extrême est en hausse.
Actuellement, 40 pour cent[5] des femmes occupant des emplois rémunérés ne cotisent pas aux mesures de protection sociale telles que les régimes de retraite et de protection maternelle et les couvertures d’assurance en cas de maladie professionnelle et d’accident au travail. Elles ne sont pas couvertes par les garanties de sécurité sociale de base qui pourraient être en place au niveau national. Les écarts des salaires et des retraites entre les hommes et les femmes, outre l’absence d’une protection sociale universelle, compromettent sérieusement la réalisation des Objectifs de développement durable, qui appellent à éliminer la pauvreté et la faim ; à parvenir à l’égalité entre les sexes et à promouvoir l’accès à un travail décent ; ainsi qu’à permettre à toutes et tous de vivre en bonne santé et à promouvoir le bien-être de toutes et tous à tout âge.
Quelles mesures doit-on prendre pour combler l’écart des salaires entre les hommes et les femmes ?
La réduction de l’écart salarial entre les hommes et les femmes doit passer par un ensemble de mesures axées sur le travail décent.
L’un des moyens les plus efficaces et les plus rapides permettant de réduire l’écart des salaires entre les hommes et les femmes consiste à instaurer des salaires minimums vitaux (ou des planchers salariaux) et une protection sociale universelle. Les salaires minimums vitaux profitent à tous les travailleurs et travailleuses qui perçoivent des salaires faibles. Étant donné que les femmes sont largement surreprésentées dans les emplois peu rémunérés, elles tireraient un bénéfice plus substantiel de tels salaires minimums. Par exemple, l’Allemagne a récemment introduit un salaire minimal national visant à lutter contre l’écart persistant (22,4 pour cent) des salaires entre les hommes et les femmes.
De tels salaires doivent reposer sur une protection sociale universelle garantissant une sécurité de revenu pour les chômeurs et les personnes sous-employées (dont la majorité sont encore une fois des femmes), des congés de maternité rémunérés, des services de garde d’enfants et d’autres services d’assistance sociale et de soins de santé, une assurance contre la perte de revenus imputable à une maladie ou à des blessures professionnelles et, bien entendu, des pensions de retraite adéquates. Il est essentiel que de telles protections couvrent également les travailleurs dans l’économie informelle, car ils sont souvent exclus et la majorité d’entre eux sont des femmes.
La garantie que les travailleuses et travailleurs jouissent de la liberté d’association et qu’ils bénéficient du droit de s’organiser et du droit de négociation collective est également un aspect important de la solution. Aux États-Unis, l’écart des salaires entre les hommes et les femmes est de 11 pour cent pour les femmes syndiquées, contre 22 pour cent en moyenne[6]. Au Royaume-Uni, les salaires des femmes syndiquées sont en moyenne supérieurs de 30 pour cent à ceux des femmes non syndiquées[7].
L’ensemble de mesures visant à combler l’écart des salaires entre les hommes et les femmes doit comprendre des services publics de garde d’enfants et de soins gériatriques de qualité ainsi que des politiques en faveur de lieux de travail adaptés aux besoins des familles. Les mesures politiques qui encouragent les hommes à partager les responsabilités de dispense de soins – par exemple, les congés de paternité – se sont avérées utiles pour changer les normes sociales qui perpétuent l’écart des salaires entre les hommes et les femmes. Les pays scandinaves sont un bon exemple, car ce sont eux qui jusqu’ici ont accompli le plus de progrès dans ce domaine.
L’instauration d’une transparence dans les critères et les décisions des entreprises concernant les salaires peut également contribuer à prévenir les préjugés sexistes.
Vous faites partie du groupe de champions de l’égalité salariale. Pouvez-vous nous en dire plus sur les objectifs de cette initiative ?
J’espère que la Coalition pour l’égalité salariale administrée par ONU Femmes et l’OIT créera une dynamique et accélérera la progression de la réduction de l’écart des salaires entre les hommes et les femmes. Selon des estimations récentes, au rythme actuel, cet écart ne sera pas comblé avant 2069 ! Si nous n’agissons pas dès maintenant, les changements qui s’opèrent dans le monde du travail, notamment en matière d’automatisation et d’économie à la demande, risquent de creuser davantage l’écart.
Il est attendu des champions de l’égalité salariale qu’ils suscitent une prise de conscience sur le principe de l’égalité salariale pour un travail de même valeur et sur ses implications, qu’ils appellent à un soutien politique accru et qu’ils mènent des initiatives proactives pour sensibiliser les responsables politiques et les décideurs. Collectivement, nos actions de plaidoyer visent à garantir des lois en faveur de l’égalité salariale ; à prendre des mesures permettant d’éliminer les préjugés sexistes dans les structures salariales et dans les mécanismes de fixation des salaires ; à produire des données de qualité désagrégées par sexe sur les salaires et d’autres prestations ; à améliorer les politiques en matière de congés de maternité, de paternité et parentaux et de services de garde d’enfants ; et à instaurer des salaires minimums vitaux.
Notes
[1] Trésor de Sa Majesté, députée Theresa May et député Simon Kirby, 2016. « Major financial services firms step up efforts to tackle gender gap » (Les grands cabinets de services financiers redoublent d’efforts pour combler les disparités entre les sexes). Disponible en anglais sur le site https://www.gov.uk/government/news/major-financial-services-firms-step-up-efforts-to-tackle-gender-gap
[2] OIT, 2016. « Les femmes au travail, tendances 2016 ». Disponible sur le site http://www.ilo.org/gender/Informationresources/Publications/WCMS_483203/lang--fr/index.htm
[3] OIT, 2014. « Women and Men in the Informal Economy: A Statistical Picture » (Les femmes et les hommes dans l’économie informelle : aperçu des statistiques). Disponible en anglais sur le site http://www.ilo.org/stat/Publications/WCMS_234413/lang--en/index.htm?ssSourceSiteId=addisababa
[4] Lydia O’Connor, The Huffington Post, 2016. « The Wage Gap: Terrible For All Women, Even Worse For Women Of Color » (L’écart des salaires : un désastre pour toutes les femmes, et pire encore pour les femmes de couleur). Disponible en anglais sur le site http://www.huffingtonpost.com/entry/wage-gap-women-of-color_us_570beab6e4b0836057a1d98a
[5] OIT, 2016. « Les femmes au travail, tendances 2016 ». Disponible sur le site http://www.ilo.org/gender/Informationresources/Publications/WCMS_483203/lang--fr/index.htm
[6] Anderson, Hegewisch et Hayes, 2015. Document d’information de l’Institute for Women’s Policy Research intitulé : « The Union Advantage for Women » (L’avantage que représentent les syndicats pour les femmes). Disponible en anglais sur le site http://www.iwpr.org/publications/pubs/the-union-advantage-for-women#sthash.VaUwff5l.dpuf
[7] Ministère des Entreprises, de l’Innovation et des Compétence du Royaume-Uni, « Trade union membership 2014: statistical bulletin » (L’affiliation syndicale en 2014 : bulletin statistique). Disponible en anglais sur le site https://www.gov.uk/government/statistics/trade-union-statistics-2014