« La puissance : Les femmes, moteurs de la croissance et de l’intégration sociale » : discours de la Directrice exécutive d’ONU Femmes, Michelle Bachelet, à Lima

Date:

Discours de Michelle Bachelet, Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Directrice exécutive d'ONU Femmes, prononcé lors de la manifestation « La puissance : Les femmes, moteurs de la croissance et de l'intégration sociale » à Lima, au Pérou, le 16 octobre 2012, lors d'une manifestation organisée au cours de la Semaine de l'intégration sociale.

[La version prononcée fait foi.]

Je souhaite commencer mon discours par le mot « gratitude ». De la gratitude envers toutes les personnes qui ont rendu notre rencontre possible ici aujourd'hui dans le cadre de la conférence « La puissance : Les femmes, moteurs de la croissance et de l'intégration sociale » organisée au cours de la « Semaine de l'intégration sociale » que célèbre la République du Pérou et qui est consacrée aux « Femmes, partenaires du développement ».

Je voudrais tout particulièrement remercier le Gouvernement du Pérou, le Président Humala, le ministère du Développement et de l'intégration sociale, ainsi que la Banque interaméricaine de développement pour leur engagement continu envers l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes en Amérique latine.

Ils ont favorisé les espaces de réflexion, tels que cette Conférence, sur des questions d'une importance capitale pour nos économies et pour assurer le développement complet de nos pays, notamment sur les opportunités qui favorisent l'intégration des femmes en tant qu'employées, femmes d'affaires, dirigeantes et entrepreneuses.

Deux années sont passées depuis ma nomination en tant que Directrice exécutive d'ONU Femmes et, bien que je sois profondément attachée à tous les domaines d'activités prioritaires de notre institution, j'aimerais vous faire part de mon intérêt tout particulier pour l'autonomisation économique des femmes. Je suis convaincue qu'à l'échelle mondiale, il s'agit d'un domaine dans lequel les progrès n'ont pas été aussi rapides pour les femmes que nous l'aurions souhaité, bien que l'on sache comment influencer les décisions publiques afin de modifier cet état de fait.

On constate tout simplement que les progrès s'avèrent plus rapides et ont une plus grande portée dans les pays et les entreprises qui favorisent l'égalité des sexes.

Faits et études étayant ce constat :

Une plus grande égalité des sexes est corrélée à un PIB par habitant plus élevé ; la participation des femmes au marché du travail et à des activités rémunératrices stimule la croissance économique et a un impact sur la société dans son ensemble ; l'accès égalitaire des femmes à la terre et aux autres intrants agricoles augmente la productivité agricole de 20 ou 30 pour cent et diminue le nombre de personnes souffrant de la faim ; les entreprises comptant trois femmes ou plus parmi leurs directeurs ou leurs cadres supérieurs voient leur production de 53 pour cent plus élevée que celle des entreprises qui ne comptent pas de femmes.

Néanmoins, comme je l'ai dit plus tôt, en dépit de tous ces éléments de preuve, les femmes restent à la traîne, ce qui ralentit non seulement la croissance économique mais également l'extension des droits des femmes, et donc le développement de leurs pays.

Si nous nous référons aux chiffres disponibles, nous pouvons constater qu'environ 1 milliard de femmes ne peuvent pas réaliser leur plein potentiel économique en raison d'entraves telles que l'inégalité de l'accès au crédit et aux opportunités, une éducation insuffisante et un manque de formation, ainsi que le manque de soutien de la part des communautés et des gouvernements pour leur permettre de s'intégrer au monde du travail et à l'économie.

Je tiens à souligner qu'en période de crise économique mondiale comme en ce moment, rien n'est jugé plus pertinent que de discuter et surtout d'agir pour promouvoir les femmes comme de véritables moteurs de la croissance généralisée dans leurs pays. Voilà pourquoi ONU Femmes souhaite participer à cette Conférence : il s'agit d'une précieuse occasion de réaffirmer notre engagement à défendre les droits économiques des femmes.

Nous vivons un moment historique. Des sociétés de toutes les régions du monde, des pays développés et en voie de développement, réclament la modification de certains modèles et structures qui ne fonctionnent visiblement pas. Dans ces conditions, les pays ne peuvent guère se permettre de gaspiller le potentiel de la moitié de la population mondiale.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, c'est en Amérique latine et dans les Caraïbes que naissent les idées qui seront écoutées par le monde entier !

Comme vous le savez, l'Amérique latine a connu un ge d'or en matière de performances économiques ces dernières années (depuis cinq ou six ans). Entre 2003 et 2011, suite à la « demi-décennie perdue » de 1998 à 2002, un grand nombre de pays d'Amérique latine et des Caraïbes ont connu leur période de croissance économique la plus rapide depuis les années 1960 et ont atteint des niveaux supérieurs à la moyenne mondiale, supérieurs même à ceux des pays développés. Les gens ont constaté une amélioration notable de leurs conditions de vie.

Selon la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (la CEPALC), la pauvreté a baissé de 17 pour cent entre 1990 et 2010, passant de 48,4 pour cent à 31,4 pour cent. En 2010, après la grave crise financière qui a touché le monde entier, l'économie de la région a connu une croissance de 6,2 pour cent. Le taux de croissance est retombé à 4 pour cent en 2011, et la CEPALC prédit pour 2012 une croissance économique de 3,7 pour cent en raison de la récession en Europe, du déclin de la croissance chinoise, et du redressement timide aux États-Unis.

Il importe de reconnaître que la contribution des femmes à cet état de faits n'a pas été insignifiante, et qu'elle peut être décrite ainsi : un travail rémunéré contribuant à accroître les revenus du ménage et permettant à des travailleuses immigrées d'envoyer de l'argent à leur famille ; et un travail non rémunéré apportant au foyer des éléments de bien-être qui ne peuvent être achetés au marché.

Non seulement cette région a accompli d'énormes progrès en termes de diminution du chômage et de la pauvreté, mais pour la première fois depuis plusieurs dizaines d'années, de nombreux pays ont obtenu des résultats positifs en termes de répartition.

Les deux facteurs clés de cette évolution ont été l'accroissement des revenus liés au travail et l'accroissement des dépenses et investissements dans des politiques de protection sociale. J'entends par là les transferts publics en faveur des groupes les plus vulnérables de la société.

Ces transferts directs de revenus en faveur des citoyens les plus pauvres, qui mettent l'accent sur le genre (des femmes gérant et traitant les transferts), représentent à l'heure actuelle l'un des principaux outils des stratégies et politiques sociales de lutte contre la pauvreté qui ont été élaborés par les gouvernements de la région, souvent avec l'appui de la Banque interaméricaine de développement.

Ces programmes ont été mis sur pied dans 17 pays de la région et concernent plus de 22 millions de familles, soit environ 100 millions de personnes, ou 17 pour cent de la population d'Amérique latine et des Caraïbes.

Les programmes de transfert conditionnels mettent en exergue trois propositions : le transfert direct de revenus destiné atténuer la pauvreté, des incitants pour stimuler les investissements dans les capacités humaines, et l'intégration de citoyens à des réseaux de promotion et protection sociales. Entre 60 et 75 pour cent des paiements de transferts sont destinés aux 40 pour cent les plus pauvres de la population.

Bien qu'en moyenne, ces programmes ne représentent que 0,25 pour cent du PIB des pays de la région, ces transferts semblent signifier une diminution des risques pour la population et sont particulièrement importants pour les ménages les plus pauvres. Ceci confirme qu'en dépit des limitations de ces programmes, les transferts d'assistance publique représentent une forme particulièrement progressiste de répartition.

Mes amis,

En vérité, il n'existe pas de formule magique en matière de politique publique, et bien qu'on ait pu démontrer l'utilité des transferts conditionnels pour éviter l'aggravation de la pauvreté et faire face à la crise dans notre région, ces transferts doivent être intégrés dans de vastes programmes complets visant à réduire les inégalités qui perdurent sur l'ensemble du continent. Ces inégalités sont toujours très marquées en ce qui concerne les rapports hommes-femmes.

Nous avons très clairement assisté à un accroissement durable de la participation des femmes au monde du travail au cours des dernières décennies. Toutefois, cela s'est fait par strates, ce qui veut dire que les inégalités entre femmes qui disposent de ressources différentes non seulement ne se sont pas résorbées au cours des vingt dernières années, mais ont même légèrement augmenté.

De même, je me dois de souligner que la participation des femmes au monde du travail accuse toujours un important retard par rapport à celle des hommes : alors que dans la région le taux d'emploi des femmes fluctue entre 40 pour cent et 70 pour cent, le taux d'emploi des hommes est d'environ 85 pour cent dans tous les pays.

Lorsque nous examinons le lien entre la pauvreté et le genre, par rapport aux indicateurs du développement, nous constatons que l'Amérique latine vit dans le paradoxe : les familles qui ont pour chef de ménage une femme restent plus pauvres que les familles menées par un homme, malgré une diminution substantielle et constante de la pauvreté ces dernières années.

C'est pourquoi il est important de reconnaître que pour promouvoir une véritable autonomisation des femmes leur permettant de démontrer l'ensemble de leurs compétences en tant que moteurs de la croissance et du développement, un changement structurel est nécessaire afin de diminuer les inégalités. Une attention particulière doit être accordée aux femmes les plus vulnérables en raison de leur situation sociale, de leur race, de leur origine ethnique ou de leur travail (par exemple, en tant que domestiques).

Je crois qu'il est important d'aborder dès maintenant l'un des changements structurels qui ont le plus besoin de notre soutien urgent, afin d'éliminer un des facteurs empêchant les femmes d'accomplir pleinement leur mission de partenaires et d'agents du développement. Nous devons insister sur l'élimination immédiate de toutes les formes de violence à l'égard des femmes. Tant que ce problème persistera, non seulement nous continuerons à violer les droits humains, mais nous ferons également obstacle au développement. La capacité et l'autonomie économiques des femmes contribuent entre autres à l'élimination de la violence.

Je suis sûre que bon nombre d'entre vous se souviennent du rapport de la CEPALC « Pas une de plus ! Le droit de vivre sans subir de violences en Amérique latine et dans les Caraïbes » (« ¡Ni Una Mas! El Derecho a Vivir una Vida Libre de Violencia en América Latina y el Caribe »), qui a été publié en 2007. Permettez-moi simplement de citer le premier paragraphe de ce rapport, qui disait ceci :

« Si nous prenions un échantillon de dix femmes gées de 15 ans et plus dans chaque pays d'Amérique latine et des Caraïbes, nous constaterions que quatre Péruviennes et quatre Nicaraguayennes sont victimes de violences physiques commises par leur mari ; au Mexique, trois femmes seraient victimes de violences psychologiques et deux de violence économique ; trois Brésiliennes souffriraient d'une violence physique extrême et deux Haïtiennes de violence physique. »

Ces chiffres ont pu évoluer à la hausse ou à la baisse, mais il est assez probable que la situation n'ait guère changé et que dans certains cas, elle se soit détériorée. En tout cas, nul d'entre nous ne peut se permettre d'oublier ou de tolérer cette situation.

Lorsque les femmes bénéficient d'une plus grande autonomie et ont la possibilité d'exercer leurs droits, de devenir des leaders ou de saisir des opportunités en matière d'éducation et d'emploi, une croissance économique s'ensuit de manière évidente. Si nous voulons utiliser ce potentiel et lutter pour l'égalité entre les femmes et les hommes, partenaires pour le développement, nous devons nous servir de tous les moyens disponibles pour éliminer la violence à l'encontre des femmes et des filles.

Mes amis,

Tant sur le plan national que régional, l'engagement politique est sans nul doute un facteur fondamental pour offrir un soutien efficace et adapté aux besoins spécifiques des femmes et des filles, grce à des systèmes adéquats d'investissement social et de protection sociale qui établissent des niveaux minimums.

Il s'agit là d'une cause qui me tient tout particulièrement à cœur. C'est une cause que je défends actuellement dans le cadre de mon nouveau rôle au sein des Nations Unies, en étroite collaboration avec l'Organisation internationale du Travail.

Ensemble, nous avons élaboré une stratégie mettant en évidence les services fondamentaux nécessaires à une réponse efficace de l'État aux besoins de la population : l'accès aux services de soins de santé de base, à l'enseignement primaire, à des revenus sûrs, à un logement, à de l'eau propre, et aux autres services fondamentaux qui réduisent les inégalités et l'exclusion.

Demandons-nous ce que nous pouvons faire pour identifier, combattre et vaincre les inégalités.
Si nous voulons accomplir des progrès concrets sur la voie de l'autonomie économique des femmes, nous devons tout d'abord revoir notre conception des réseaux de soins en veillant à assurer un lien entre les politiques en matière d'emploi et les systèmes de protection sociale.

Je veux parler du développement de réseaux de soins dans lesquels l'État joue un plus grand rôle par la fourniture de services allant des crèches et garderies sur les lieux de travail, dans les écoles ou les centres municipaux, aux centres de soins de santé et au soutien apporté à domicile aux adultes qui ne peuvent se débrouiller seuls en raison de leur handicap ou de leur grand ge.

Ces stratégies doivent s'accompagner de politiques qui réduisent systématiquement la charge du travail non rémunéré pour les femmes. C'est pourquoi je suis heureuse de savoir que le programme de cette « Semaine de l'intégration sociale » au Pérou comprend la présentation et la discussion du programme national « CUNA MÁS ».

Les méthodes d'intervention de ce programme, appelées « Service de soins quotidiens » et « Service d'aide aux familles », nous aideront sans aucun doute à comprendre les bonnes pratiques mises sur pied grce à la coopération entre les gouvernements nationaux et locaux et les communautés, qui auront des répercussions importantes sur le temps dont disposent les femmes pour participer au développement économique.

Mes amis,

Le défi que doit relever ce continent consiste à réduire l'inégalité sous toutes ses formes en donnant les moyens aux femmes de participer à leur propre épanouissement et à celui de leurs communautés. Pour y arriver, nous devons travailler ensemble et contribuer à accroître leurs capacités, leurs talents et leur énergie du mieux que nous pouvons.

Conformément à son mandat, ONU Femmes soutient les États et les groupes organisés de la société civile pour faire avancer et consolider des programmes favorisant une plus grande égalité dans les pays de la région. À cet effet, notre travail en faveur de l'autonomisation économique vise essentiellement à améliorer les capacités de production des femmes, entre autres par la promotion de leur accès aux marchés et par l'augmentation des revenus des femmes dans les groupes les plus exclus socialement.

Nous coordonnons des actions conjointes menées avec des États, des agences de l'ONU et des organisations de la société civile. Nous devons souligner le fait que nous voyons aujourd'hui de nombreux gouvernements adopter une attitude proactive afin d'inclure des programmes en faveur de l'intégration des femmes à leurs politiques de développement économique et social.

Permettez-moi d'en citer un seul exemple, qui est crucial pour nous. En coopération avec l'OIT, la CEPALC et le PNUD, ONU Femmes en Amérique latine a commencé à établir un rapport régional sur l'égalité des sexes et l'emploi décent, qui émettra des recommandations d'intérêt général pour promouvoir l'égalité d'accès des femmes et des hommes à des opportunités d'emploi décentes et contribuer à l'égalité des sexes et à l'autonomisation économique des femmes.

Conscient de ce que la région est caractérisée non seulement par de grandes disparités dans la répartition des revenus mais également par de nombreuses formes de discrimination fondées sur l'origine raciale et ethnique, ce rapport recommande en outre la promotion de parrains d'emplois pour contribuer à une meilleure intégration sociale.

Ce rapport, qui devrait être finalisé en décembre de cette année, recommande de réfléchir au poids de l'inégalité entre hommes et femmes, à la situation globale de l'inégalité qui caractérise l'Amérique latine et les Caraïbes, et au rôle que joue le travail (rémunéré et non rémunéré) des femmes dans la construction d'une société plus participative et durable. Il tente également de répondre à la nécessité d'interventions politiques publiques pour combattre l'inégalité qui persiste entre les genres sur le marché de l'emploi en dépit du développement de l'éducation des femmes.

Une autre initiative que nous allons mettre en œuvre est le programme d'élargissement des opportunités économiques pour les femmes dans les zones rurales d'Amérique centrale. Cette initiative, fruit de la collaboration avec le FIDA, cherche à accroître l'autonomie des producteurs au Guatemala, au Nicaragua et au Mexique afin de renforcer leurs capacités d'entreprenariat et de leadership au sein de leurs communautés. L'objectif de ce projet consiste à permettre aux femmes non seulement d'acquérir des outils techniques pour gérer efficacement leurs commerces mais également d'influencer les politiques et programmes des gouvernements locaux à moyen et long terme afin de favoriser l'autonomisation des femmes dans les zones rurales.

Mes chers amis,

Le programme de développement des femmes en Amérique latine doit être le fruit d'un effort conjoint d'économies dynamiques et de sociétés démocratiques, dans le cadre duquel tout le monde, et surtout les femmes, se sent partie prenante des décisions fondamentales qui ont une incidence sur sa vie.

Les progrès accomplis en faveur des femmes sont des progrès accomplis pour nous tous. Accorder la priorité aux femmes n'est pas un choix à faire. C'est une obligation. Investir dans la femme est plus qu'une simple question de droits : c'est également un choix judicieux d'un point de vue économique.

C'est pourquoi je vous invite à utiliser cet espace de réflexion, qui a été mis à notre disposition à l'initiative du Gouvernement péruvien et de la BID, pour évaluer les avantages de l'égalité et de la pleine intégration des femmes en tant que moteurs du développement, et pour présenter des initiatives pertinentes.

J'ai confiance en vous et j'espère que cette réflexion donnera naissance à des mesures et des actions concrètes orientées vers le changement qui favoriseront et appuieront la participation des femmes à l'économie en vue de parvenir à une croissance économique durable, de lutter contre la pauvreté, et de permettre à la prospérité future de profiter à tous ici en Amérique latine et aux Caraïbes. Vous pouvez compter sur la détermination d'ONU Femmes pour vous aider et soutenir vos efforts.

Merci beaucoup pour votre attention.