Des mots et des lettres changent des vies en Equateur
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Depuis mon enfance, j'ai toujours entendu l'histoire de la princesse qui trouve son prince charmant. La douce belle fille aux yeux bleus… En revanche, dans les rues, j'ai trouvé des femmes aux yeux marrons, les mains foncées et leurs corps luxuriants… L'autre grande différence de l'histoire qu'on m'a racontée avec la réalité, c'est que les femmes n'ont aucun prince charmant à leurs côtés. Ainsi débute l'une des nombreuses d'histoires de femmes travailleuses, travailleuses du sexe, femmes au foyer, filles ou femmes rurales, militantes… qui ont contribué, des quatre coins de l'Équateur, à la campagne « Cartas de Mujeres », qui signifie « Lettres de femmes ».
Le 25 novembre 2011, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence contre les femmes, la municipalité de Quito, en partenariat avec la Coopération allemande au développement (GIZ) et avec le soutien d'ONU Femmes, a lancé un appel pour recueillir les témoignages de la vie des femmes au moyen de lettres, afin de communiquer leurs opinions sur l'avènement d'un monde meilleur sans violence ou discrimination contre les femmes.
Le résultat de cette innovante campagne participative a été un véritable succès- 10.000 lettres ont été reçues en trois mois. Près de la moitié des lettres décrivent différents types de familles et de violences domestiques. D'autres lettres parlent de la violence au sein des institutions ; par exemple, les femmes politiques qui font face à la violence politique ou qui sont écartées lors des prises de décisions, bien qu'elles aient été démocratiquement élues. Ces lettres font écho à une étude menée par l'Association des femmes des gouvernements municipaux d'Équateur (AMUME) sur 457 femmes occupant des postes dans les autorités locales du pays, dont au moins 100 ont été victimes de violence politique.
En trois mois, « Cartas de Mujeres » a permis d'ouvrir un débat public sur l'égalité des sexes et la violence contre les femmes. Et les institutions se joignent à ce dialogue. Jusqu'à présent, le résultat le plus frappant a été la réforme de l'ordonnance 042 à Quito proposée par le gouvernement local, qui criminalise aujourd'hui le harcèlement sexuel dans les lieux publics. Les estimations indiquent que 68 % des femmes ont été victimes de harcèlement sexuel à Quito. Selon Ana Rodriguez, coordonnatrice du Centre d'art contemporain de Quito et partenaire de diffusion de « Cartas de Mujeres », « cette campagne est également importante car elle peut montrer aux autres municipalités qu'il est possible de lutter contre la violence à l'échelle locale ». L'engagement de la municipalité locale d'étendre l'ordonnance a été influencée par l'initiative « Quito ville sûre », qui fait partie de la campagne globale « Des villes sures sans violence contre les femmes et les filles », soutenue par ONU Femmes et le gouvernement.
« Cartas de Mujeres » permet également de mettre en exergue d'autres problèmes institutionnels qui étaient jusqu'à présent ignorés. Par exemple, le fait de forcer certaines personnes à renoncer à leur homosexualité. « Plusieurs de ces lettres racontent des histoires déchirantes de femmes confinées dans des hôpitaux pour ‘corriger le comportement homosexuel' à l'aide de pratiques telles que le viol correctif », souligne Ana Rodriguez. Après avoir pris connaissance de ces problèmes par le biais de cette campagne épistolaire, le maire de Quito s'est engagé à prévenir de telles pratiques.
La première phase de la campagne s'est achevée cette année lors de la Journée internationale de la femme, mais les lettres continuent d'arriver régulièrement dans les 400 boîtes de courrier électronique installées dans les marchés, les centres commerciaux, les écoles, les musées, les parcs, et partout en Équateur. Au cours de la deuxième phase de la campagne, l'engagement et la portée de l'initiative sont élargis. Un nouvel appel à l'envoi de lettres sera lancé non seulement dans tout le pays mais aussi dans d'autres pays de la région andine ainsi qu'à l'intention des Equatoriens résidant en Europe, ce qui permettra de créer à terme des archives précieuses sur la violence dont les femmes sont victimes en Équateur.
Plus d'informations sur la campagne Cartas de Mujeres (http://www.cartasdemujeres.org/)