Op-ed : Le progrès des femmes dans le monde 2015-2016 : Transformer les économies, réaliser les droits

Par : Directrice exécutive d’ONU Femmes Phumzile Mlambo-Ngcuka

Date:

Notre monde est en situation de déséquilibre. Il est à la fois plus prospère et plus inégalitaire aujourd’hui qu’à toute autre période depuis la Seconde Guerre mondiale.

Nous sommes en train de nous rétablir de la crise économique mondiale, mais la reprise n’est pas accompagnée d’emplois. Nous avons la plus importante population de femmes éduquées jamais enregistrée et cependant, à l’échelle mondiale, les femmes trouvent difficilement du travail. Les taux de chômage sont historiquement élevés dans de nombreux pays, y compris ceux du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, de l’Amérique latine et des Caraïbes, ainsi qu’en Europe du Sud.

Dans les cas où les femmes ont un emploi, elles sont payées en moyenne 24 pour cent de moins que les hommes. Dans l’ensemble, les femmes à travers le monde ont des emplois précaires et peu rémunérés comme le travail agricole à petite échelle ou le travail domestique, un secteur où elles représentent 83 pour cent de la main d’œuvre.

Pourquoi l’économie mondiale n’est-elle pas adaptée aux femmes ?

Dans notre rapport majeur Le progrès des femmes dans le monde 2015-2016 : Transformer les économies, réaliser les droits, nous examinons la signification de cet échec et proposons des solutions.

Nous jetons un regard neuf, avec une perspective globale, aux politiques économiques et sociales et à leurs implications pour l’ensemble de l’économie. Nous accordons une importance particulière à l’économie « invisible » des tâches familiales et des travaux domestiques non rémunérés qui caractérisent l’ensemble des économies et des sociétés.

Les mesures classiques comme le PIB ont été historiquement aveugles à une grande proportion du travail effectué par les femmes et les filles, et elles n’ont pas répondu aux attentes de ceux qui souhaiteraient octroyer des ressources publiques pour les assister, par exemple en investissant dans l’accès à l’eau et l’énergie propre.

Nous proposons d’appliquer une approche des droits de l’homme à la résolution de problèmes économiques. Nous proposons des solutions spécifiques, basées sur des faits concrets, pour que les gouvernements et le secteur privé prennent des mesures capables de contribuer aux progrès en matière d’emplois décents pour les femmes, rémunérés de façon égale, libres de tout harassement sexuel et de violence, et soutenus par des services sociaux de bonne qualité.

Nos ressources publiques ne sont pas orientées vers les domaines où elles sont les plus nécessaires, pour fournir par exemple de l’eau potable et un assainissement, des soins de santé de qualité et des services décents de soins aux enfants et aux personnes âgées. Et pourtant l’eau est essentielle, les familles doivent être nourries, les malades doivent être soignés, les enfants élevés et les parents âgés entourés.

En l’absence de services publics, ce sont surtout les femmes et les filles qui doivent faire face aux manques. Cela constitue une pénalité en matière de soins qui punit injustement les femmes qui interviennent lorsque l’État ne fournit aucune ressource, et plusieurs milliards de femmes à travers le monde sont ainsi affectées. Les données en provenance de la France, de l’Allemagne, de la Suède et de la Turquie indiquent que les femmes gagnent entre 31 et 75 pour cent moins que les hommes sur l’ensemble de leur vie. Nous avons besoin de politiques qui permettent tant aux femmes qu’aux hommes de prendre soin de leurs proches sans avoir à compromettre leur propre sécurité économique, leur réussite et leur indépendance.

Notre économie mondialisée semble travailler à contre-courant de notre vision universelle des droits des femmes : elle les limite, au lieu de les aider à progresser. Quand il n’y a pas de choix, il y a peu de droits.

Mais il existe des solutions. Le rapport propose un certain nombre de façons précises à travers lesquelles les ressources pour le financement des services publics et des transferts sociaux peuvent être mobilisées. On peut, par exemple, faire respecter les obligations fiscales existantes, réorienter les priorités en matière de dépenses et élargir l’assiette d’imposition globale, ainsi qu’emprunter et développer l’aide à l’échelle internationale.

Les entreprises multinationales ont également un rôle central à jouer en devenant des employeurs qui offrent des opportunités et des rémunérations égales. Les actionnaires peuvent et doivent demander aux entreprises d’agir de façon responsable envers les pays dans lesquels ils mènent leurs activités. Les recettes fiscales annuelles perdues par les pays en développement en raison de la falsification des prix, une des stratégies utilisées par les entreprises pour éviter de payer des impôts, sont estimées  entre USD $98 et $106 milliards de dollars. Cela représente près de 20 milliards de dollars de plus que les coûts de financement annuels nécessaires pour assurer l’accès universel à l’eau et à l’assainissement.

S’ils disposent du mélange approprié de politiques économiques et sociales, les gouvernements peuvent induire des changements fondamentaux : ils peuvent générer des emplois décents pour les femmes et les hommes et s’assurer que leur travail de soins non rémunéré soit reconnu et soutenu. Des mesures appropriées comme les allocations familiales et les régimes de pension universels peuvent renforcer la sécurité de revenu des femmes, et leur capacité à réaliser leur potentiel et multiplier leurs choix de vie. Enfin, les politiques macroéconomiques peuvent et doivent soutenir la réalisation des droits des femmes par la création d’économies dynamiques et stables, la génération d’emplois décents et la mobilisation de ressources pour financer les services publics essentiels.

En fin de compte, le soutien des droits des femmes permettra non seulement aux économies de fonctionner à l’avantage des femmes, mais il profitera aussi aux sociétés dans leur ensemble en créant un avenir plus juste et plus viable.

Le progrès pour les femmes est le progrès pour toutes et tous.