Prenez cinq minutes: « L’entrepreneuriat dans le secteur des énergies durables présente des perspectives intéressantes pour les femmes »

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Suhela Khan. Photo: UN Women/Jeevan Kanakkassery
Suhela Khan. Photo: ONU Femmes/Jeevan Kanakkassery

Suhela Khan dirige actuellement le programme conjoint lancé par ONU Femmes et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) intitulé « Programme sur l’entrepreneuriat féminin en faveur des énergies durables » en Inde. Lancé lors de la COP 21 dans six pays, ce programme s’efforce d’identifier et de supprimer les obstacles structurels sexospécifiques auxquels se heurtent les femmes entrepreneures dans le domaine de l’énergie, et d’accroître la participation et le leadership des femmes dans l’élaboration de politiques énergétiques sensibles aux questions de genre. ONU Femmes a discuté avec Mme Khan de la façon dont l’accès des femmes aux énergies propres et à l’entrepreneuriat pouvait être amélioré en Inde, où le secteur énergétique traverse actuellement une profonde transformation.

Pourquoi se concentrer sur l’accès des femmes à l’énergie ?

La pauvreté énergétique n’est pas neutre au niveau du genre. Les hommes et les femmes sont affectés de différentes manières par les politiques énergétiques en raison des rôles divers qu’ils jouent à la maison, au sein de leur communauté et sur leur lieu de travail. Par exemple, lorsque les ressources énergétiques se font rares, la tâche qui consiste à ramasser des feuilles, du petit bois et des excréments d’animaux pour servir de combustibles incombe souvent aux petites filles.

Par ailleurs, les femmes rurales en Inde travaillent essentiellement dans le secteur agricole et mènent des petites activités génératrices de revenus, que ce soit dans des micro-entreprises à forte consommation d’énergie ou par le télétravail, et elles disposent rarement d’un accès à une énergie fiable (indispensable à la force mécanique utilisée dans les exploitations agricoles, l’industrie alimentaire, le pompage de l’eau et l’irrigation, etc.). Cette situation, associée aux risques liés au changement climatique, exacerbe la pénibilité de leurs tâches quotidiennes et entravent leurs perspectives économiques.

Des recherches récentes ont montré que l’accès à l’électricité libérait du temps aux femmes en augmentant l’efficacité de la réalisation des travaux domestiques, leur laissant plus de temps de se consacrer à un emploi rémunéré. Des études montrent ainsi qu’au Guatemala, les femmes qui ont accès à l’électricité réduisent de 34 % le temps passé à cuisiner, tandis qu’au Nicaragua, les femmes des ménages ruraux qui ont accès à l’électricité ont 23 % de chances supplémentaires de travailler à l’extérieur de la maison [1]. Cela révèle la possibilité de libérer un énorme potentiel économique dans les pays en développement – nous savons par exemple que si les femmes participaient au marché du travail sur un pied d’égalité avec les hommes, le PIB de l’Inde augmenterait de 16 % d’ici 2025 [2].

J’ajouterai que, même si l’IRENA estime que les femmes représentent près de 35 pour cent de la main-d’œuvre mondiale du secteur des énergies renouvelables modernes – d’après leur enquête réalisée auprès de 90 entreprises dans plus de 40 pays –, il en va tout autrement dans de nombreuses régions du monde en développement, y compris en Inde.

Quels sont les obstacles auxquels se heurtent les femmes pour accéder à l’énergie ?

Pour comprendre comment les femmes accèdent à l’énergie et quels sont les obstacles qu’elles rencontrent, ONU Femmes a conduit une enquête primaire auprès de plus de 6 000 femmes, en portant une attention particulière aux communautés les plus marginalisées, dans plus de 100 villages répartis dans les États du Madhya Pradesh, Nagaland, Rajasthan et Uttar Pradesh.

Cette enquête a révélé que les femmes ne pèsent que très peu dans les décisions financières du ménage concernant les produits qui utilisent des énergies renouvelables, tels que des installations domestiques et lanternes solaires, et qu’elles n’exercent aucun contrôle sur le type d’énergie utilisée. Les femmes sont très peu informées des solutions qui privilégient les énergies renouvelables et ont l’impression de manquer de compétences techniques dans ce domaine. Les insuffisances identifiées dans l’accès aux formations en matière d’énergies renouvelables portent sur la qualité, la distance et le coût.

Du côté de l’offre, les prestataires de services indiquent éprouver des difficultés à communiquer avec la clientèle féminine. L’intégration des femmes dans la chaîne d’approvisionnement a également été identifiée comme un problème majeur. Les prestataires de services rencontrent par exemple des difficultés à embaucher des femmes en tant que préposées aux ventes et au marketing. Un autre obstacle important concerne le manque de personnel qualifié pour assurer l’installation, l’entretien et le service des produits utilisant des énergies renouvelables.

En outre, les femmes ont été très peu impliquées dans l’élaboration des politiques relatives aux énergies renouvelables et les programmes qui ciblent les femmes portent essentiellement sur la cuisine, se basant encore sur des stéréotypes de genre.

Quel rôle les femmes peuvent-elles jouer pour faciliter l’accès à l’énergie aux niveaux des ménages et des communautés ?

Les recherches menées par ONU Femmes révèlent qu’il existe une réelle volonté de payer pour des sources alternatives d’énergie propre, telles que les lampes solaires, les installations domestiques solaires et les pompes solaires. Par conséquent, les possibilités qu’offre aux femmes l’entrepreneuriat dans le secteur des énergies durables sont particulièrement intéressantes.

Des organisations comme Barefoot College, Frontier Markets et Solar Sisters ont démontré qu’il existait tout un éventail de modèles commerciaux où les femmes peuvent intervenir en tant qu’agentes du changement dans l’accès aux sources d’énergie propre. En qualité d’entrepreneures, les femmes ont un rôle clé à jouer pour favoriser une croissance économique inclusive et durable. À partir du moment où les femmes détiennent un capital social au sein des communautés, elles sont mieux placées pour entrer en contact avec d’autres femmes et promouvoir une prise de conscience sur les solutions d’énergie propre et la manière dont celles-ci peuvent affecter positivement leur vie.

Quels sont les obstacles que les femmes rencontrent en tant qu’entrepreneures ?

Les femmes sont sous-représentées dans la chaîne de valeur énergétique, que ce soit au niveau de l’élaboration des politiques et des prises de décision ou au niveau de la main-d’œuvre. Cela limite les bénéfices et le potentiel économique des programmes et des politiques énergétiques. Les femmes se trouvent freinées dans leur capacité à participer à la chaîne de valeur énergétique ou à créer et gérer des entreprises viables en raison d’une discrimination sociale et culturelle profondément ancrée et d’un ensemble d’autres difficultés, notamment : une mobilité restreinte, le manque de temps (principalement à cause de la part disproportionnée des tâches domestiques non rémunérées qu’elles assument), le manque de sécurité dans les espaces publics et sur les lieux de travail, les difficultés d’accès au financement, à l’information et aux marchés, et le manque d’accès à l’éducation et à la formation.

Comment ce programme entend-il favoriser l’accès des femmes à l’énergie et à l’entrepreneuriat ?

Ce programme devrait renforcer les capacités des femmes à participer efficacement aux chaînes de valeur décentralisées de l’énergie propre en tant que responsables, assembleuses, distributrices et prestataires de services. Il permettra de surmonter les obstacles à la distribution grâce à des centres communautaires détenus et gérés par des femmes. En collaboration avec la société civile, les entreprises du secteur de l’énergie et les autorités publiques locales et gouvernementales, ONU Femmes identifiera, formera et encadrera des femmes entrepreneures, associées commerciales et techniciennes dans le secteur énergétique afin de consolider leurs compétences techniques, commerciales et de gestion.

Par ailleurs, le programme adoptera une approche holistique pour établir et renforcer l’écosystème qui affecte l’accès des femmes à l’énergie. L’accent sera porté sur la sensibilisation des femmes aux solutions utilisant des énergies renouvelables à des fins domestiques et productives, sur le renforcement des outils et produits de financement innovants à destination des utilisateurs finaux et des entreprises, sur l’adaptation des supports de formation, des outils et des méthodologies, sur la formation des femmes et de leurs groupes sur la planification énergétique sensible au genre et enfin, sur la facilitation de leur participation efficace à l’élaboration des politiques.

Notes

[1] Document de travail pour le Rapport sur le développement dans le monde 2010 sur l’égalité des sexes et le développement Energy, gender and development: What are the linkages? Where is the evidence?

[2] Mckinsey Global Institute The power of parity: How advancing women's equality can add $12 trillion to global growth