Dans toute l’Afrique, des chefs traditionnels changent la donne dans la lutte contre le mariage des enfants et les MGF
En collaborant avec les chefs traditionnels, ONU Femmes et ses partenaires sont en train de créer une dynamique en faveur d’un engagement à l’échelle du continent pour mettre fin au mariage des enfants et à la mutilation génitale féminine.Date:
Son nom est emblématique de son pouvoir : Reine mère. « Quand nous parlons, les gens écoutent. Et nous disons que nous allons mettre fin à ces [pratiques] traditionnelles néfastes, en particulier les mariages précoces et le mariage des enfants, car elles ne sont pas bonnes pour nos communautés. »
En Afrique, une jeune femme sur trois est mariée avant l’âge de 18 ans. Sur les 30 pays où la mutilation génitale féminine (MGF) est la plus répandue, 28 se trouvent en Afrique. Cette pratique néfaste trouve son origine dans les inégalités profondes entre les sexes, les croyances culturelles enracinées et la pauvreté. Dans de nombreuses régions, les chefs religieux et traditionnels qui pratiquent, encouragent ou défendent le mariage des enfants et les MGF figurent parmi les gardiens les plus puissants de ces pratiques. Par conséquent, ils peuvent également être les alliés les plus puissants pour éliminer ces violations des droits humains.
La Reine mère Best Kemigisa du royaume de Tooro, en Ouganda, est l’une de ces alliées et c’est également une voix puissante dans sa communauté. « Nous avons un rôle important à jouer en tant que leaders traditionnels, car nous n’appliquons pas les lois. Nous faisons les lois », a-t-elle déclaré lors d’une réunion à Nairobi au Kenya, qui a réuni les dirigeants traditionnels de 17 pays africains.
La réunion de Nairobi a été l’aboutissement de plusieurs années de travail d’ONU Femmes et d’organisations locales et régionales visant à mettre un terme aux pratiques néfastes qui traumatisent, désavantagent et tuent des millions de filles en Afrique.
Lors de la réunion, les chefs traditionnels avaient un objectif : élaborer une feuille de route pour une approche coordonnée et durable contribuant à la campagne menée par l’Union africaine (UA) pour mettre fin au mariage des enfants, aux MGF et à d’autres pratiques culturelles néfastes.
La réunion a également mis en exergue les meilleures pratiques et les initiatives à grande échelle menées par certains des dirigeants pour empêcher le mariage des enfants et les MGF. Comme l’initiative réussie au Malawi, dirigée par la cheffe suprême Inkosi Kachindamoto, qui a permis de faire annuler plus de 2 000 mariages d’enfants dans sa région depuis 2013.
« Cette réunion est très importante pour nous, chefs traditionnels, car nous discutons de ce que tout le monde est en train de faire », explique-t-elle. « Quand on entend parler de choses positives, on les ramène à la maison, et quand on les ramène à la maison, on les adapte. Nous, les chefs traditionnels, sommes les gardiens de la culture. Nous devons donc prendre ce qu’il y a de bon et nous débarrasser de ce qui est néfaste. »
En Zambie, le chef Chamuka a fait des progrès similaires en réduisant les taux de mariage d’enfants et de grossesse chez les adolescentes. Sous son leadership, les principaux dirigeants de la communauté ont promulgué des règles coutumières au sein de la chefferie faisant passer l’âge légal du mariage à 21 ans et imposant l’enregistrement des mariages au village.
« Les nouvelles règles ont eu un impact considérable sur le changement de mentalité des gens. Cela tient au fait qu’elles sont impulsées par la communauté et non imposées par le chef », explique-t-il.
Lorsqu’il est monté sur le trône, indique le chef Chamuka, il a constaté que 45 filles avaient été mariées de manière précoce et 209 grossesses précoces avaient été enregistrées dans sa communauté. Mais, après les nouvelles règles coutumières, il n’y a eu qu’un mariage d’enfant et seulement huit grossesses précoces.
« [Sans] protection des droits des enfants, il n’y aura pas de développement à l’avenir », ajoute le chef Chamuka. « La culture nous offre un miroir pour regarder à la fois en arrière et vers l’avenir. Lorsque nous regardons en arrière, nous trouvons des racines qui nous donnent de la force, mais certaines racines peuvent être plus faibles et ces racines sont de mauvaises pratiques. Par conséquent, toutes les pratiques traditionnelles que nous pratiquons ne sont pas bonnes. Faisons en sorte de bannir celles qui sont néfastes. »
« Nous venons tous de cultures et de traditions […] et les chefs traditionnels sont les personnes les plus respectées. Ils ont le pouvoir, l’autorité et l’influence », explique Izeduwa Derex-Briggs, directrice régionale d’ONU Femmes. « Nous pensons que nous avons bien fait de commencer par les mobiliser et écouter leurs propres points de vue. En seulement deux jours, on voit que certains ont changé d’avis. On voit des gens qui prennent la parole et disent non. »
Mary Okumu, directrice nationale d’ONU Femmes en Sierra Leone, partage cet avis : « Quand on commence par le bas et qu’on mobilise les communautés dans le dialogue, dans les discours, on a plus de poids, car on obtient les véritables opinions des personnes qui doivent s’adapter. »
Organisée par ONU Femmes en collaboration avec la Queen Mother Best Foundation (Ouganda) et l’Institute of African Royalty, cette rencontre de deux jours a également rassemblé des leaders de la société civile et des organisations internationales travaillant sur ces questions, et a facilité des échanges intergénérationnels.
Gbenebichie Onetoritsebawoette, une jeune leader du Nigeria , a déclaré que la réunion lui avait ouvert une nouvelle perspective :« La connaissance ou la perception que j’ai maintenant des leaders traditionnels est différente de celle que j’avais auparavant », dit-elle. « Je sais qu’ils veulent vraiment voir les choses changer. Ils ne veulent pas que les pratiques traditionnelles négatives se poursuivent. Et cela m’a donné beaucoup d’espoir. »
« Le fait d’entendre le point de vue de représentants de différents pays m’a montré que nous avançons, même si nous avons encore beaucoup de chemin à faire, mais nous nous rapprochons de l’objectif », a expliqué Jaha Dukureh, Ambassadrice de bonne volonté d’ONU Femmes Afrique pour la campagne contre les mutilations génitales féminines et le mariage des enfants, qui a participé à la réunion. Elle-même victime de MGF et contrainte de se marier à l’âge de 15 ans, G. Dukureh dirige les activités de plaidoyer dans son propre pays, en Gambie, et à l’étranger. Travaillant aux côtés d’organisations de femmes et de jeunes, elle a contribué à l’interdiction des MGF par le gouvernement gambien en 2015.
Au cours des semaines et des mois à venir, de nombreux autres dialogues et consultations animés par ONU Femmes vont avoir lieu aux niveaux régional et subrégional, et aboutiront à la signature d’un engagement par des chefs traditionnels et religieux de toute l’Afrique à l’occasion du Sommet des chefs d’État de l’Union africaine, en février 2019 à Addis Abeba.
Nyaradzai Gumbonzvanda, Ambassadrice de bonne volonté de l’Union africaine pour la campagne visant à mettre fin au mariage des enfants , reconnaît le potentiel immense des leaders traditionnels en ce qui concerne l’évolution des normes, l’adoption de lois et la facilitation de l’accès aux services au sein des communautés. Elle ajoute que l’autonomisation des filles doit être au cœur de tous ces efforts : « Les filles doivent être économiquement autonomes pour ne pas voir le mariage comme un moyen de sortir de la pauvreté. Une fille devrait pouvoir dire : « Je peux posséder une voiture » au lieu de dire : « J’ai besoin d’être mariée avec un homme qui a une voiture ».