Mon avis, ton avis : les droits des femmes au Kosovo, hier et aujourd’hui

Dans cette nouvelle série intergénérationnelle de la campagne Génération Égalité, les jeunes prennent l’initiative de la conversation. Marigona Shabiu, 26 ans, militante kosovare des droits des personnes, échange avec Igballe Rogova, 58 ans, qui milite pour les droits des femmes depuis trente ans.

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Marigona Shabiu interviews Igballe Rogovain Kosovo. Photo: UN Women
Marigona Shabiu. Photo: ONU Femmes

Originaire du Kosovo, Marigona Shabiu avait un an lors de l’adoption de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing en 1995. Vingt-cinq ans plus tard, elle estime que le Programme d’action de Beijing est toujours d’actualité et constitue une source d’inspiration pour sa génération. En dépit des nombreux progrès réalisés, notamment en ce qui concerne les lois nationales qui garantissent l’égalité des sexes, les femmes ne jouissent toujours pas pleinement de leurs droits et de leurs libertés.

« Même si la loi au Kosovo impose à toutes les institutions publiques de garantir une représentation paritaire (50 pour cent), postes de direction compris, la représentation politique des femmes reste tributaire des quotas par sexe, et les femmes ne participent pas encore assez aux processus décisionnels. » Pour elle, la préoccupation majeure des jeunes Kosovares reste la menace liée à la violence domestique : « Leur champ d’action en tant que femmes et leur droit à être traitées avec dignité et à pouvoir s’exprimer en leur nom propre sont annihilés par les hommes non seulement de leur famille, mais également de la sphère publique. »

Marigona a découvert Igballe à la télévision (elle l’appelle Igo), alors que la militante était aux avant-postes des manifestations et de la mobilisation en faveur des droits des femmes au Kosovo, Depuis, elle l’admire beaucoup. « Igo nous explique que l’égalité des sexes ne deviendra une réalité que lorsque nous, femmes et hommes, travaillerons main dans la main, et je partage entièrement cet avis. »

Igballe Rogova answers questions about activism, and women's rights in Kosovo. Photo: UN Women
Igballe Rogova. Photo: ONU Femmes

QUESTION 1 :À quel moment et pourquoi avez-vous commencé à militer?

Igballe Rogova : Tout a démarré au début des années 90 : j’ai ressenti la nécessité d’aider les gens. Avec ma sœur, nous avons commencé par aider les habitants de Kodra et Trimave, une banlieue proche de Pristina. Là, de nombreuses femmes ne savaient ni lire ni écrire. Nous avons démarré les premiers cours d’alphabétisation, qui se sont étoffés au fur et à mesure pour aborder la question de l’autonomisation des femmes.

QUESTION 2 : Quel a été le changement le plus important pour les Kosovares depuis l’adoption du Programme d’action de Beijing?

Igballe Rogova :Le Programme d’action de Beijing [a débouché sur] de nombreux autres mécanismes internationaux, notamment la Résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU. Cela fait presque 20 ans maintenant que cette résolution a été adoptée par le Conseil de sécurité. Jusque-là, les femmes du monde entier faisaient pression, même à Beijing [durant les négociations de la Déclaration de Beijing], pour obtenir la mise en place d’un mécanisme international qui permettrait aux femmes de prendre part aux négociations pour la paix et qui enjoindrait aux missions onusiennes [de maintien de la paix] dans les pays sortant d’un conflit de travailler avec les organisations de femmes.

Si vous vous rappelez comment les choses étaient à l’époque de l’adoption du Programme d’action de Beijing et si vous regardez où nous en sommes maintenant, on constate qu’il s’est produit un formidable élan, il y a eu de nombreux progrès. L’infériorité numérique des femmes participant aux négociations de paix est encore flagrante, mais des améliorations se produisent à cet égard.

Je me souviens qu’en 1999 au Kosovo, nombreuses étaient les femmes qui réfutaient le terme « féministe ». Elles pensaient que si vous étiez une féministe, vous vous opposiez forcément aux hommes. Quand elles ont découvert qu’il ne s’agissait pas de se battre contre les hommes, mais de demander l’égalité non seulement pour les femmes mais aussi pour les hommes, les mentalités ont commencé à évoluer.

Le Kosovo a connu un réel changement lorsque la jeune génération s’est impliquée, lorsque les jeunes hommes se sont impliqués.

Vous ne pouvez pas changer la vie des femmes si vous ne travaillez qu’avec des femmes.

QUESTION 3 : Qu’est-ce qui n’a pas encore changé pour les femmes? Quelle est la marche à suivre maintenant?

Igballe Rogova : Les femmes restent encore les grandes absentes des négociations de paix un peu partout dans le monde, et cela représente un énorme défi. Si les dirigeants des pays et la communauté internationale comprenaient l’importance de la présence des femmes et de leurs contributions aux négociations, ces mêmes négociations de paix se dérouleraient sans problèmes. Lorsque les femmes sont impliquées, les débats se concentrent sur la situation réelle des personnes et sur leur bien-être.

J’ai depuis toujours trois rêves : l’inclusion des hommes dans le mouvement ; l’inclusion de la jeune génération, donc des filles et des jeunes femmes, dans le mouvement ; et la solidarité entre les femmes. Être féministe ne signifie ni s’entredisputer, ni devoir forcément aimer tout le monde. Il s’agit de s’unir pour une même cause.

L’ancienne génération de leaders du Kosovo doit faire place à la nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques. Nous avons de jeunes politiciens formidables, hommes et femmes, qui croient en l’égalité des sexes et nous voulons qu’elles et ils aient voix au chapitre. Partout dans le monde, nous observons [une recrudescence du] pouvoir des conservateurs pour qui les femmes ne peuvent occuper des postes de responsabilité. On peut observer de réels changements dans le monde lorsque les femmes et les hommes se partagent équitablement le leadership.


Ce témoignage fait partie d’une série éditoriale spéciale pour la campagne Génération Égalité d’ONU Femmes. Intergénérationnelle, cette série fait le pont entre les jeunes militantes et les femmes qui militent depuis longtemps pour les droits des femmes et se penche sur les perspectives intergénérationnelles des enjeux d’aujourd’hui.