Les responsables de mouvements étudiants guatémaltèques font avancer la recherche et le militantisme dans la lutte contre le harcèlement sexuel
Le harcèlement et la violence sexuels sont depuis beaucoup trop longtemps monnaie courante sur les campus universitaires du Guatemala. De là est née une culture du viol généralisée. Grâce à des données et des travaux de recherche récents, les étudiants influencent et façonnent l’opinion publique pour que le harcèlement sexuel soit criminalisé.Date:
Ana Sáenz, 20 ans, est étudiante en sciences politiques à l’université San Carlos de la ville de Guatemala. Jamais elle ne se serait doutée que son travail de recherche sur l’ampleur du harcèlement sexuel sur le campus préfigurerait un mouvement national de lutte contre la violence sexuelle faite aux femmes et aux filles dans les milieux universitaires.
« En tant que femme, je trouve vraiment injuste que les efforts de ces femmes courageuses qui nous ont précédées et ont déjà tant fait se révèlent vains, que nous ayons encore tant à faire pour jouir pleinement de nos droits », explique Ana.
Le Guatemala affiche l’un des taux de violence infligée aux femmes les plus élevés d’Amérique latine. Si la proportion d’homicides en général a chuté ces dernières années, le taux de féminicide et de violence faite aux femmes et aux filles a augmenté de 98 pour cent entre 2010 et 2017. Une étude indépendante réalisée dans le cadre du programme « Ville sûre » sous l’égide de la ville de Guatemala indique que toutes les femmes de cette ville ou presque sont régulièrement confrontées au harcèlement sexuel.
Entre 2017 et octobre 2019, Ana a guidé la Commission chargée des questions de genre de l’association étudiante Oliverio Castañeda (AEU), l’une des plateformes de défense des droits des étudiants les plus importantes du pays, dans l’élaboration et la réalisation de cette étude sur le campus, qui a également bénéficié du soutien d’ONU Femmes et de l’Observatoire guatémaltèque sur le harcèlement de rue.
L’étude a révélé plus de 700 signalements de harcèlement sexuel sur le campus principal de l’université et dans la faculté des sciences médicales, tous deux situés dans la ville de Guatemala. Les coupables étaient pour la plupart connus de leurs victimes : 29,9 pour cent étaient des professeurs ; 22,4 pour cent des étudiants et 4,8 pour cent des employés universitaires.
L’étude a également fait état d’une fréquence et d’une récurrence préoccupantes : 21,7 pour cent des personnes interrogées ont indiqué avoir été victimes de harcèlement sexuel plusieurs fois par mois, 17 pour cent deux à trois fois par semaine et 10,5 pour cent plusieurs fois par jour.
« Vous vous imaginez aller à l’école, aller au travail et être confrontée chaque jour aux abus et au harcèlement sexuel ? Cela ne restreint pas seulement les choix et la mobilité des femmes, toute notre société en subit les conséquences », explique la représentante nationale d’ONU Femmes, Adriana Quiñones. « Lorsque la violence faite aux femmes et le harcèlement sexuel à l’égard des femmes et des filles deviennent une habitude, ils se normalisent et engendrent une culture dans laquelle la violence s’intensifie, prospère et érode d’autres acquis. »
L’étude met aussi en évidence l’absence de mécanismes institutionnels au sein de l’université qui ne prévoit pas de procédures formelles pour déposer une plainte de harcèlement sexuel ou pour garantir la sécurité de la personne qui signale les faits. En conséquence, plus de la moitié des personnes interrogées victimes de harcèlement sexuel racontent ne pas avoir signalé l’incident par peur de représailles. Au reste, parmi celles qui l’ont signalé, 93 pour cent déclarent que le coupable n’a pas été sanctionné.
Première femme élue à la tête de l’AEU, Lenina García a conçu la Commission chargée des questions de genre comme un espace sécurisé destiné à aider les femmes et les étudiants LGBTIQ+ confrontés à la discrimination. Les étudiants victimes de harcèlement sexuel sur le campus ont contacté l’AEU ce qui, d’après elle, a « déclenché une libération de la parole ».
Lenina estime que cette étude doit servir de prétexte pour « repenser le modèle pédagogique et le rôle de l’apprentissage » et poursuivre les mesures de soutien aux étudiantes.
Au mois d’août, l’AEU a présenté les résultats de la recherche lors d’un événement public dans la ville de Guatemala en faisant du harcèlement sexuel un enjeu majeur pour la communauté universitaire. Ana Sáenz avait fait valoir que plusieurs femmes avaient été forcées de changer d’université ou d’abandonner complètement leurs études.
Les résultats de cette étude ont par ailleurs été présentés aux autorités universitaires, accompagnés d’un avant-projet de Protocole de prévention, de sanction et d’éradication du harcèlement sexuel à l’université San Carlos. Carlos Valladares, secrétaire général de l’université, s’est depuis engagé à mettre en place un mécanisme institutionnel visant à prévenir le harcèlement sexuel sur le campus. Le doyen de la faculté de droit, Gustavo Bonilla, a suggéré que cette étude et le protocole qui l’accompagne pourraient servir à la rédaction d’un projet de loi visant à criminaliser le harcèlement sexuel, lequel pourra être présenté au Congrès par l’université en sa qualité d’établissement public.
« Ce sont les étudiants qui sont à l’origine de ce changement important », souligne Lenina García, en insistant sur la manière dont les étudiants ont délaissé le rôle de victimes pour celui d’agents du changement au fur et à mesure qu’ils enquêtaient, rédigeaient le protocole et recueillaient les preuves du harcèlement sexuel. « On ne s’est pas croisé les bras à attendre, on a cherché à proposer des solutions. »Adriana Quiñones complète en rappelant que le harcèlement sexuel n’est toujours pas considéré comme un crime au Guatemala, mais que des initiatives telles que celle menée par ces étudiants peuvent rallier le soutien du public.
Les travaux de l’AEU ne sont pas passés inaperçus auprès des étudiants d’autres universités qui ont lancé des campagnes analogues de lutte contre le harcèlement sexuel sur leurs campus et ont décidé d’unir leurs forces en démarrant un mouvement unifié pour lutter contre la violence sexuelle. Avec la montée en puissance du mouvement étudiant, Ana Sáenz présume que les autorités devront adopter des dispositions de prévention et de sanction de la violence sexuelle et établir des protocoles pour que chaque personne sache comment réagir lorsqu’un incident se produit.