En Palestine, des procureures et procureurs spécialisés garantissent l’accès des femmes à la justice

ONU Femmes collabore avec le ministère public en Palestine en vue de l’adoption d’une approche axée sur les droits fondamentaux pour le traitement des affaires de violence domestique et de violence basée sur le genre, grâce à la formation de procureures et procureurs généraux conformément aux normes internationales et supporter l’élaboration de procédures opérationnelles spéciales.

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Une scène de la vie quotidienne au Centre Mehwar pour les victimes de la violence en Palestine. Photo: ONU Femmes / Ventura Formicone

Lorsque Zahara* a divorcé de son second mari, sa famille l’a enfermée dans une maison abandonnée pendant plus de quatre ans avant que la police, qui avait reçu des informations anonymes à son sujet, ne la trouve et la libère.

« L’[Unité pour la protection de la famille de la police civile palestinienne] m’a conseillé de porter plainte contre ma famille, mais je ne voulais pas en faire un scandale. Mon frère a alors signé un document par lequel il s’engageait à ne pas me faire de mal. J’ai fait confiance à ma famille, et j’ai pensé que la situation s’améliorerait. Mais ce ne fut pas le cas. »

L’histoire de Zahara* n’est pas un cas isolé. Une enquête du Bureau central de statistique palestinien menée en 2011 a révélé qu’un tiers des femmes victimes de violence gardent le silence ou demandent de l’aide à leur famille. Rares sont celles qui se tournent vers les institutions spécialisées, et plus rares encore celles qui font appel aux services de sécurité et de justice.

« Au village, après l’intervention de la police, tout le monde m’a reproché d’avoir fait honte à ma famille. Mais personne n’a remis en question la façon dont ma famille m’a traitée », se souvient Zahara.

À cause du caractère patriarcal de la société palestinienne et de la pression qu’exercent la famille et la communauté en cas de violence basée sur le genre, et pour des raisons culturelles dans une société qui couvre de honte la victime, il est difficile pour une femme de révéler sa détresse. Des lois inadéquates, l’absence de services de protection et le manque de confiance dans les institutions chargées de la justice et de la sécurité les dissuadent encore davantage de demander réparation.1 C’est pourquoi la plupart des cas de violence ne sont pas signalés et restent inconnus du système judiciaire.

Comme l’explique Dareen Salheyeh, cheffe de parquet, « nous avons besoin de connaissances professionnelles et de compétences pour traiter les affaires de violence envers les femmes et les filles. Ces affaires nécessitent que nous soyons sensibilisés au problème : nous devons en avoir conscience et avoir la volonté d’agir. »

De janvier à mars 2014, 20 représentants du ministère public, dont Dareen, ont suivi une formation organisée par ONU Femmes pour les procureurs généraux, consacrée au traitement des affaires de violence basée sur le genre. Cette formation portait tout particulièrement sur l’utilisation et l’application des lois, en ce compris les conventions internationales relatives aux droits des femmes, dans l’intérêt des femmes et des filles qui ont survécu à la violence. Il s’agissait d’une des activités destinées aux professionnels de la justice et de la sécurité mises sur pied dans le cadre d’un projet de trois ans mis en œuvre par ONU Femmes et financé par le ministère britannique du Développement international. Ce projet a pour buts de former des professionnels de la justice et de la sécurité et de constituer des groupes restreints de tels spécialistes qui garantiront aux victimes de violence l’accès à la justice.

À la suite de cette formation et des tables rondes d'évaluation, au mois d’avril, le ministère public a créé la toute première équipe de 15 procureurs spécialisés, qui s’occupera des cas de violence domestique de toute la Cisjordanie. Les 15 participants à la formation ont été nommés procureurs spécialisés. Plus tard, Dareen a également été nommée responsable de la coordination des questions d’égalité des sexes pour le ministère public.

« Les procureurs spécialisés sont basés dans chaque district et représentent la seule autorité compétente qui s’occupe des affaires de violence envers les femmes et les filles. Cette spécialisation garantit la rapidité des procédures, notre professionnalisme, et des processus décisionnels, explique Dareen. Elle élimine ainsi un certain nombre d’obstacles qui empêchaient les femmes d’accéder à la justice, ce qui nous aidera à gagner leur confiance. »

Les juges considèrent que les preuves les plus importantes sont les rapports des procureurs, donc lorsqu’une femme a été victime de violence, la façon dont le procureur se penche sur l’affaire se répercute sur l’issue de la procédure judiciaire.

En Palestine, nombre de lois sont obsolètes ou ne prévoient pas les problèmes actuels en matière de violence domestique, mais le Conseil législatif palestinien est paralysé depuis 2007 à la suite des élections générales et de la scission entre le Fatah et le Hamas qui s’est ensuivie. Aucun changement n’a donc pu se produire.

« Si nous appliquons les lois à la lettre et dans le respect de nos convictions, la société ne changera pas, affirme Dareen. Cette formation et ces réunions nous ont donné les outils nécessaires pour respecter l’esprit de la loi lorsque nous nous occupons de ces affaires, pour protéger les victimes et tenir les coupables responsables. »

La nomination de procureurs spécialisés permet de respecter concrètement le droit fondamental des filles et des femmes victimes de violence à accéder à la justice. Pour Dareen, l’élaboration de procédures opérationnelles permanentes, qui a lieu en ce moment dans le cadre du projet d’ONU Femmes Accès à la justice, pour améliorer la capacité des procureurs généraux de traiter de manière adéquate les cas de violence envers les femmes et les filles et renforcera la coordination avec les autres institutions, secteurs et prestataires de services.

« Les femmes gardent énormément d’informations sous silence parce qu’elles ne comprennent pas leurs droits, leurs obligations et les procédures, explique Dareen. Nous avons donc commencé à cartographier les organisations qui leur proposent un soutien psychologique, social et juridique, pour que celles-ci les aiguillent. Ces institutions peuvent convaincre les femmes de s’exprimer et les aider tout au long des différentes procédures, comme les examens médico-légaux. De plus, leurs rapports peuvent servir de preuves au tribunal. »

Ces institutions apportent également un soutien capital aux victimes après l’enquête, en les aidants à surpasser les traumatismes subis et la stigmatisation, et à se réintégrer. Dans le cas de Zahara, c’est le Centre Mehwar qui l’a aidée à reconstruire sa vie, notamment grâce à une formation, en l’aidant à trouver du travail, et en communiquant avec sa famille et sa communauté afin que Zahara puisse réintégrer la société.

« Si je n’avais pas été hébergée au Centre Mehwar, et si je n’avais pas été épaulée par son personnel, je n’aurais jamais réussi à reprendre pied et à faire valoir mes droits, nous dit Zahara. Il est indispensable que nous disposions de services de justice, de sécurité et sociaux sensibles au genre pour que les femmes qui ont survécu à la violence puissent faire valoir leurs droits. »

*Nom d’emprunt, afin de protéger son identité

[1] D’après l’étude de l’accès des femmes palestiniennes à la justice en Cisjordanie réalisée par ONU Femmes (basée sur la couverture médiatique de ces affaires en 2013), les acteurs de l’assistance judiciaire manquent de connaissances professionnelles et de compétences pour aider les femmes rescapées de la violence.

Pour obtenir de plus amples informations sur les efforts que déploie ONU Femmes pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes, veuillez consulter la compilation Gros plan que nous avons spécialement créée à l'occasion du 25 novembre qui est la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.