Les conséquences de la COVID-19 : le Liban

Une affaire inédite pourrait enfin ouvrir les portes de la justice pour les travailleuses migrantes employées comme domestiques au Liban

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Avant même le début de la pandémie de COVID-19, 243 millions de femmes et de filles dans le monde ont été victimes de violences de la part de leur partenaire intime au cours des douze derniers mois. Depuis la pandémie et les mesures de confinement, les pays du monde entier ont constaté une augmentation alarmante des cas signalés de violence contre les femmes, en particulier de violence domestique. Tandis que la COVID-19 continue de mettre à rude épreuve les services de santé et de compromettre nos économies et nos services essentiels, ONU Femmes travaille aux côtés des femmes de première ligne qui, chaque jour, répondent à la pandémie fantôme de violence contre les femmes et les filles. « Les conséquences de la COVID-19 » vous livre quelques-unes de leurs histoires et explique comment nos programmes favorisent des solutions qui ne laissent personne pour compte.

Meserat Hailu. 
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J’avais l’habitude de travailler sans recevoir de salaire. Quand je demandais mon salaire, madame me disait non ou me frappait. Elle me frappait souvent.

C’était un cauchemar. J’ai été torturée, maltraitée psychologiquement, physiquement et verbalement. J’ai travaillé et vécu dans la maison de mon Kafeel (sponsor) pendant huit ans et sept mois. J’ai été payée pour seulement 13 mois. Je travaillais 15 heures par jour, tous les jours, sans vacances ni week-end.

Je n’avais pas le droit de voir qui que ce soit. Quand je demandais à appeler ma famille, elle me disait d’attendre que ses membres se souviennent qu’ils avaient une fille dont ils devaient prendre des nouvelles.

Je voulais partir, mais je ne pouvais pas. Je pensais que si je pouvais m’enfuir, je pourrais peut-être aller à la police. Mais la porte était toujours verrouillée, et mon employeur avait demandé au concierge de me surveiller. Il m’aurait empêché de partir. J’ai finalement dit à ma mère ce qui m’arrivait.

Un matin, mon employeur a reçu un appel téléphonique d’un avocat. Il lui a demandé de me laisser partir. Deux semaines plus tard, mon employeur m’a renvoyée en Éthiopie, mais sans argent.

J’étais très heureuse d’être libre... mais j’étais aussi triste, parce que j’avais travaillé pendant si longtemps sans gagner d’argent. »


ONU Femmes répond par des programmes sur le terrain

Meserat Hailu avait 29 ans quand elle s’est rendue à Beyrouth, au Liban, en tant que travailleuse domestique migrante éthiopienne. Pendant plus de huit ans, elle a été victime d’abus de la part de son employeur jusqu’à ce que Legal Action Worldwide ait été informé de sa situation et se charge de son cas pour exiger sa libération.

Après être arrivée dans son village, près d’Addis-Abeba, Meserat Hailu est restée en contact avec les avocats de Legal Action Worldwide qui l’ont aidée à entamer des poursuites judiciaires contre son kafeel. Le 8 octobre 2020, avec le soutien d’ONU Femmes, Legal Action Worldwide a déposé en son nom une plainte inédite, faisant valoir que son traitement « constituait un crime d’esclavage lié à la traite d’esclaves, à la traite de personnes, au travail forcé, à la privation de liberté et à la confiscation de documents personnels, à la discrimination raciale, à la discrimination basée sur le genre et à la torture ».

La plainte a été déposée au nom de Meserat Hailu contre son sponsor et contre le recruteur qui l’a aidée à trouver un contrat et à émigrer au Liban. C’est le premier procès jamais intenté contre l’esclavage et la traite d’esclaves auprès d’un tribunal pénal libanais. S’ils sont reconnus coupables, les accusés encourent jusqu’à dix ans de prison en vertu du Code pénal libanais. 

Le Liban compte entre 250 000 et 300 000 travailleurs domestiques, dont la plupart sont des femmes immigrées en provenance d’Éthiopie, des Philippines, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka. Leur travail et leur statut de résident au Liban sont réglementés par le tristement célèbre système « Kafala ». Terme arabe signifiant « parrainage », Kafala est depuis longtemps dénoncé par les groupes de défense des droits de la personne comme un système qui permet aux employeurs d’exploiter et d’abuser des travailleurs. Les travailleurs domestiques sont exclus de la Loi libanaise sur le travail. Si un travailleur souhaite changer d’employeur, il a besoin de son consentement. Le fait de quitter un emploi sans l’accord de l’employeur expose les travailleurs à de nombreux risques, y compris la détention et l’expulsion. Ceux qui tentent de s’échapper risquent également d’être détenus dans des prisons surpeuplées, où les taux de COVID-19 sont élevés.

« Les travailleuses domestiques migrantes souffrent du système Kafala depuis des décennies », déclare Antonia Mulvey, directrice exécutive de Legal Action Worldwide. « Sans aucune protection juridique ni aucun accès à la justice ou presque, des milliers de personnes ont été et continuent d’être maltraitées par leurs employeurs et privées de leurs libertés, y compris de leur liberté de mouvement. » 

Se déroulant dans le contexte des défis sans précédent posés par les crises économiques successives, la pandémie de COVID-19 et les récentes explosions à Beyrouth, l’affaire Meserat Hailu pourrait ouvrir la voie à un recours juridique inédit pour des milliers de travailleuses domestiques migrantes. Le travail d’ONU Femmes auprès des travailleuses migrantes au Liban est généreusement soutenu par le Gouvernement néerlandais.