Écouter, croire, soutenir : l’importance de la santé mentale pour les survivantes de la violence
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« Je commence tout juste à parler de ce que j’ai vécu. »
« Je me suis confiée. »
« J’ai reçu un soutien psychologique. »
Pour chaque femme qui a été victime de la violence, la guérison du traumatisme est un processus unique, qui commence toujours par un partage de son histoire.
À travers le monde, une femme sur trois sera battue, forcée d’avoir des rapports sexuels ou subira d’autres formes de maltraitance — le plus souvent par une personne de sa connaissance. Pourtant les services publics, comme les services de santé mentale de qualité, sont rarement agencés en tenant compte de la sécurité des femmes, de leur réadaptation et de leur guérison.
Suite au traumatisme qu’elles ont subi, de nombreuses survivantes souffrent de problèmes émotionnels ou mentaux qui nécessitent un traitement adapté, global et professionnel. Mais trop souvent, ce service de santé essentiel n’est pas disponible ou accessible pour une vaste majorité de survivantes, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Bien que les soins de santé mentale soient l’un des six services essentiels répondant aux besoins des survivantes, contrairement aux blessures physiques, les répercussions sur le plan émotionnel et mental sont moins visibles et en conséquence, ne bénéficient pas de l’attention voulue.
Lorsque les survivantes ont accès à des services psychologiques et un soutien complets, elles peuvent guérir, transformer leur traumatisme à des fins de plaidoyer, s’approprier leur histoire, se réapproprier leur corps et lutter pour un monde sans violence. Voici quelques-unes des histoires qui nous montrent ce qui peut être accompli lorsque ce service est fourni.
Apprendre à écouter, commencer à partager
Lorsqu’une femme demande de l’aide, il est important que les prestataires des soins de santé soient convenablement formés à l’accueil et au traitement des survivantes.
Laurelle Siton, 33 ans, est une travailleuse sociale de la municipalité d’Abomey-Calavi, au Bénin. Elle a commencé à travailler avec des survivantes en février 2018 et en décembre, elle a suivi une formation au soutien psychologique des survivantes de violence dans le cadre d’un programme d’ONU Femmes. « Maintenant, lorsqu’une survivante commence à pleurer, je lui fais savoir que je comprends sa douleur et qu’il est normal qu’elle pleure », dit-elle. « Je lui dis que pleurer est salutaire, et qu’elle peut pleurer autant qu’elle le veut. Si elle le souhaite, nous pouvons suspendre la séance et arrêter une date pour une nouvelle séance. »
Dans un projet récent, Laurelle Siton a reçu environ 360 femmes ayant été survivantes de violence dans sa région et a écouté leurs récits. Elle se rend compte de l’importance du soutien et des conseils qu’elle fournit, car elle voit concrètement comment ils aident les femmes « à avoir confiance, à se sentir considérées par les autres et, surtout, à savoir que nous leur accordons notre estime et que nous reconnaissons l’importance de leur histoire. »
Pierrette, âgée de 39 ans, est une survivante, également originaire de la région d’Abomey-Calavi, au Bénin. Pendant son enfance, Pierrette a été victime de violences sexuelles de la part de son tuteur. Dans une tentative désespérée d’échapper à son agresseur chez elle, elle s’est mariée jeune et la relation s’est rapidement détériorée. Elle a été victime d’agressions verbales et physiques de la part de son mari. Après plusieurs années, son mari a abandonné la famille, laissant Pierrette seule pour subvenir aux besoins de leurs quatre enfants. « J’ai dû supporter seule le fardeau de la famille », dit-elle.
Lorsqu’elle a demandé de l’aide, Laurelle Siton était là pour l’aider. « Mme Laurelle [Siton] m’a écoutée et orientée vers une psychologue qui m’a prise en charge et m’a aidée », affirme-t-elle.
Grâce aux sessions de conseil individuel, sa santé émotionnelle s’est améliorée. « Je me sens beaucoup mieux qu’avant. » Mes angoisses ont diminué… Ce soutien m’a procuré un certain soulagement.
Les soins de santé mentale sont bien plus qu’un simple travail, c’est un service public.
Les prestataires de services comme Ina Grădinaru, directrice adjointe d’un centre pour les survivantes de violence à Drochia, en Moldova, sont souvent le premier recours en matière d’aide pour les femmes qui ont subi des violences.
« Je suis la première personne à qui les femmes parlent lorsqu’elles arrivent au Centre », commente Ina Grădinaru. Pour remplir ce rôle essentiel, les prestataires doivent répondre aux besoins émotionnels et mentaux des femmes sans porter de jugement pour les mettre à l’aise et respecter leur autonomie.
Au cours de ses 12 années de travail avec des femmes, Ina Grădinaru a appris que « l’attitude que l’on affiche lorsqu’on rencontre une survivante pour la première fois est très importante. Avant toute chose, une victime de violence domestique doit être crue. »
Il est essentiel de croire ce que disent les survivantes, car c’est cela qui permet d’établir une communication franche à travers laquelle les prestataires peuvent écouter les femmes avec empathie et les aider à s’en sortir elles-mêmes. Pour Ina Grădinaru et de nombreux prestataires de santé mentale dans le monde, ce travail est bien plus qu’un simple emploi, c’est un service public.
« Les femmes doivent comprendre que la violence n’est pas une norme, mais un délit punissable par la loi. »
« Je voulais que quelqu’un comprenne. »
L’importance d’écouter et de croire les survivantes a joué un rôle central dans le processus de guérison d’Emmanuella Zandi Mudherwa.
Elle avait sept ans lorsqu’elle a été violée par un soldat armé. Elle a été rejetée par sa communauté à cause de la stigmatisation entourant le viol. Sept ans plus tard, elle a été de nouveau violée par un cousin, et les abus ont continué pendant plusieurs années. Un jour, la douleur est devenue insoutenable. Elle ne dormait plus la nuit et elle est tombée malade. Lorsqu’elle est allée à l’hôpital, les médecins n’ont rien trouvé d’anormal à son état physique.
« Je voulais que quelqu’un comprenne… mais personne n’a compris… Le plus dur pour moi, c’est le regard des gens lorsqu’ils ne me croient pas », dit-elle.
Au bord de la dépression et ayant besoin d’une aide, elle a raconté à ses collègues ce qu’elle endurait. « Cela a été la première étape de ma guérison », explique-t-elle, même si le processus a été long et difficile. « La communauté m’a couverte de honte. J’ai même été kidnappée pendant trois jours pour m’empêcher de parler. Mais je n’ai pas cédé. Je n’avais plus peur, je ne voulais pas que d’autres enfants soient réduits au silence… J’ai compris que je devais commencer mon combat d’une manière quelconque. »
Partager son histoire et les défis auxquels elle a été confrontée pour se faire entendre lui a permis non seulement de retrouver la santé, mais de réaliser un rêve. Maintenant, elle sensibilise les jeunes de sa région à la violence sexiste et a fondé sa propre organisation à but non lucratif qui encourage l’autonomisation des filles.
« Mon rêve est de voir les filles et les jeunes femmes agir pour améliorer leur sort et celui de leur communauté. »
« Aucune femme ne devrait traverser cette épreuve seule. »
L’histoire de Joanna Oala est similaire à celle d’Emmanuella.
À 17 ans, elle a subi des agressions sexuelles. « C’était un cauchemar bien réel. J’avais peur d’en parler à cause de la stigmatisation et de la discrimination. Je n’arrêtais de penser à ce que les gens allaient dire et penser de moi… », ajoute-t-elle.
Mais aujourd’hui Joanna Oala est une rescapée et surtout, elle se bat pour mettre fin à la violence sexiste en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Pendant des années, elle a souffert en silence, en proie à l’anxiété et à la dépression. « Je ne trouvais pas ma place dans le monde, je me sentais inutile », confie-t-elle.
Après trois longues années de souffrances, Oala s’est confiée à un groupe d’amies proches et leur a parlé des agressions dont elle avait été victime ainsi que de la façon dont elle avait été affectée. Elle n’avait pas accès à des soins professionnels de santé mentale, mais avec ses amies à ses côtés, elle a commencé à partager son histoire avec un plus grand nombre de femmes et de filles.
Elle comprend qu’il est important de s’exprimer et que l’absence de services de santé mentale constitue un problème.
« J’ai choisi de défendre cette cause parce que je sais qu’en partageant mon histoire, en sensibilisant les gens à la violence sexiste et aux blessures visibles et invisibles qu’elle laisse, je peux aider les survivantes et susciter une prise de conscience pour que les filles sachent s’exprimer et trouver de l’aide. »
Si aucune histoire de guérison de la violence n’est identique, l’accès à des soins de santé mentale et à un soutien adéquats est essentiel pour toutes les survivantes. Leur tendre une main secourable, dénoncer les actes de violence qu’elles ont subis et faire connaître leurs traumatismes permettent aux femmes de réécrire leur histoire.
La force individuelle et collective va de pair avec le soutien : le pouvoir de s’exprimer, de crier, de se battre envers et contre tout.
« C’est mieux de s’exprimer et de faire entendre sa voix. »
« Je me sens beaucoup mieux qu’avant. »
« Oui, je suis une victime. Oui, j’ai survécu à la violence. Mais je n’aime pas être appelée une survivante, et je veux être perçue plutôt comme une gagnante. »