Dans les propos de Emmanuella Zandi Mudherwa : « Je voudrais que chaque survivante soit qualifiée de victorieuse »
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Emmanuella Zandi Mudherwa, âgée de 21 ans, a fondé sa propre organisation à but non lucratif « Ma voisine » à Kinshasa, en République démocratique du Congo, dont le but est d’encourager l’autonomisation des filles par les filles. Elle compte aujourd’hui 12 000 membres dans tout le pays et collabore avec ONU Femmes dans le cadre d’initiatives de sensibilisation à la violence faite aux femmes.
Je suis devenue une activiste non seulement à cause de ce que j’ai vécu, mais également à cause de la violence et de la discrimination auxquelles les filles sont confrontées dans notre société.
J’avais sept ans quand cela m’est arrivé pour la première fois. Je vivais avec ma famille à Goma, dans la province de Nord-Kivu. J’allais à l’école avec mon petit frère qui avait alors cinq ans. Ce jour-là, nous nous sommes réveillés de bonne heure parce que nous voulions profiter du nouveau terrain de jeu qui avait été construit dans notre école. Le conflit était terminé, mais seulement sur le papier. Sur le chemin de l’école, nous avons rencontré deux soldats armés qui nous ont dit que la route n’était pas sûre et que nous devions les suivre.
Ils nous ont fait marcher pendant des heures. Quand nous avons commencé à pleurer, ils nous ont frappés. L’un d’eux m’a portée jusqu’à un buisson pas très loin ; il a coupé des feuilles de bananier et les a placées sur le sol, il a arraché mes vêtements et a commencé à me violer. Ils m’ont violée à tour de rôle pendant des heures. Je saignais de partout. Ils m’ont ramenée là où mon frère se trouvait et nous ont laissés là.
Le pire, c’est qu’après avoir été soignée et avoir quitté l’hôpital, j’ai été rejetée par ma propre communauté parce que j’avais été violée. Les gens me regardaient bizarrement, et quand je suis retournée à l’école, on m’a demandé de m’asseoir au fond de la classe et il y avait toujours deux sièges libres entre moi et les autres élèves.
À l’âge de 13 ans, j’ai été à nouveau violée, plusieurs fois, par un cousin qui vivait avec nous. À cette époque-là, j’allais au collège à Bukavu, dans la province de Sud-Kivu, et chaque fois que je rentrais à la maison pour les vacances, il me violait. Quand j’ai eu 15 ans, j’ai refusé de rentrer chez moi pour les vacances parce que je savais qu’il était là. Je ne pouvais pas dormir, je suis tombée malade, mais quand je suis allée à l’hôpital, ils ne m’ont rien trouvé sur le plan physique. Je voulais que quelqu’un comprenne… mais personne ne comprenait.
Un jour, j’en ai eu simplement marre, et j’ai commencé à parler de ce que je traversais dans une émission diffusée par une radio communautaire où je travaillais à ce moment-là. Cela a été la première étape de ma guérison, mais en même temps cela a créé un gros problème dans la communauté pour moi et mes parents. La communauté m’a couverte de honte ; j’ai même été kidnappée pendant trois jours pour m’empêcher de parler. Mais cela ne m’a pas découragée. Je n’avais plus peur, et je ne voulais pas que d’autres enfants soient réduits au silence… J’ai réalisé que je devais commencer ma lutte quelque part.
Le plus dur pour moi, c’est le regard que les gens jettent sur moi, lorsqu’ils ne me croient pas.
Les jeunes filles n’ont pas vraiment leur place dans la société. De nombreuses femmes vivent avec leurs problèmes parce que ceux-ci n’ont pas été pris en considération lorsque ces femmes n’étaient que des jeunes filles. Par exemple, on dit que le taux de représentation des femmes est faible dans la prise de décisions, mais c’est parce que lorsque les filles grandissent, on leur demande de se taire, de ne pas s’exprimer, ou de ne pas faire part de leurs opinions.
Maintenant, tous les samedis, je parle de la violence sexiste avec des filles et des garçons. Nous organisons des rencontres appelées « Club anonyme » dans différentes municipalités ou écoles, où je vais témoigner de ma propre expérience. Lorsque les jeunes filles et les jeunes garçons écoutent mon histoire, ils ont envie de parler, et ensemble nous entamons le voyage. Parfois, ce sont les écoles qui prennent contact avec moi parce qu’elles remarquent, chez un ou une élève, un repli sur soi ou un certain type de comportement et pensent que je peux les aider.
Je parle aux victimes et ensuite je les mets en contact avec des psychologues ou des hôpitaux qui ont les moyens de leur procurer les soins et les services nécessaires.
Les jeunes sont l’avenir et l’espoir de toutes les sociétés. Une jeunesse traumatisée ne peut pas devenir la force motrice qui stimule le développement d’un pays. Et parler de son traumatisme est la première chose à faire pour aller mieux.
J’ai constaté personnellement que le fait de parler à quelqu’un qui a traversé des situations semblables aide les victimes à rompre le silence. Cela leur montre qu’il n’y a pas de honte à en parler. Il est également utile que les écoles disposent d’un personnel spécialisé capable de détecter les premiers signes de traumatisme chez les enfants pour les aider.
Mon rêve est de voir les filles et les jeunes femmes faire des choses pour elles-mêmes et pour leur communauté. Je ne veux pas que nous soyons perçues simplement comme des êtres faibles, de qui il faut avoir pitié. Oui, j’ai été une victime. Oui, j’ai survécu à la violence. Mais je n’aime pas que l’on me donne le nom de survivante ; je souhaite plutôt être regardée comme une personne victorieuse.
Je voudrais que chaque survivante soit qualifiée de victorieuse !».