Où je me tiens : « Le pardon est encore très loin de notre réalité »
Rosalina Tuyuc Velásquez, une activiste guatémaltèque des droits de l’homme, n’a jamais renoncé à la recherche de la vérité et de la justice depuis que son père et son mari ont disparu pendant la guerre civile du Guatemala. Après que son père et son mari aient été enlevés et assassinés par les forces gouvernementales pendant la guerre civile guatémaltèque, elle a fondé l’Association nationale des veuves guatémaltèques (CONAVIGUA), qui est aujourd’hui l’une des principales organisations nationales de défense des droits de l’homme. En 1995, elle a été élue députée au Congrès et, en 2004, elle a présidé la Commission nationale des réparations chargée d’enquêter sur les crimes commis pendant la guerre civile, qui a fait rage pendant plus de trois décennies.Date:
Je n’avais que 26 ans lorsqu’ils ont enlevé mon père. Il a disparu en 1982 sous le régime de José Efraín Rios Montt, lorsque des dizaines de milliers de personnes autochtones ont été enlevées, torturées, violées et assassinées.
Trois ans après la disparition de mon père, mon mari a également été kidnappé par les forces gouvernementales. Après son enlèvement, je l’ai cherché partout, dans les prisons, dans les hôpitaux, mais il avait disparu.
J’ai senti que je ne pourrais plus supporter la souffrance. Et pourtant, à partir de cette douleur, j’ai trouvé la force : j’ai regardé la mort dans les yeux, et j’ai réalisé que je n’avais plus peur. Je m’étais sentie tellement seule, mais j’ai regardé autour de moi et j’ai vu toutes les autres femmes qui étaient aussi affligées, à la recherche de leurs proches. Nous avons assisté à l’anéantissement de notre communauté et à l’aggravation de la violence ; même nos petites filles ont été violées. En 1988, j’ai aidé à fonder l’Association nationale des veuves guatémaltèques (CONAVIGUA) pour obtenir des réparations en justice et résister pacifiquement à la violence.
Des femmes courageuses se sont présentées et se sont jointes à nous, et nous avons découvert que l’union fait la force. Seules, nous pouvions être terrorisées et ignorées, mais grâce à la CONAVIGUA, nous nous sommes mobilisées. Nous avons obtenu l’appui des syndicats, nous avons appris par nous-mêmes à utiliser la loi et à parler en public.
Plus de 30 ans se sont écoulés, et la voie de la justice est toujours bloquée par l’impunité et la corruption. Malgré les milliers de morts, seules quelques affaires ont été portées devant les tribunaux.
Toute ma vie, j’ai remarqué que l’on demande toujours aux femmes de pardonner. Ce qui s’est produit était un génocide. Pourtant, on nous a répété à maintes reprises que le processus judiciaire compte sur notre acceptation d’une amnistie pour ceux qui ont infligé la mort à nos familles.
Nous continuerons de chercher nos morts et de demander la vérité. Le mot pardon est encore très loin de notre réalité.
J’ai été témoin de la force des femmes à affronter et à transcender la peur, à faire entendre leur voix et à demander justice. Alors que partout autour de nous, le monde peut être rempli de violence et d’incertitude, les voix et le cœur des femmes sont des armes permettant de briser l’impunité. »
Rosalina Tuyuc Velásquez est la fondatrice de l’Association nationale des veuves guatémaltèques (CONAVIGUA), une organisation citoyenne soutenue par ONU Femmes. En 1995, elle a été élue députée au Congrès et, en 2004, elle a présidé la Commission nationale des réparations chargée d’enquêter sur les crimes commis pendant les 36 années du conflit armé au Guatemala. ONU Femmes s’est entretenue avec Mme Tuyuc Velásquez à l’occasion du 20e anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui continue à orienter le plan d’action en faveur des femmes, la paix et la sécurité, et dont le but est d’inclure les femmes et l’analyse de genre dans tous les aspects de la prévention des conflits, de la paix et de la reconstruction. Le rôle des femmes artisanes de la paix, qui arrivent à gagner et à exercer le pouvoir de décision, est essentiel à cet ordre du jour. Pour lire son histoire complète, rendez-vous sur Reportage photo : Une maison d’art et de souvenirs cherche à achever le travail de deuil au Guatemala