Prenez cinq minutes : « Tout le monde devrait savoir comment devenir un agent du changement »

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Céline Bonnaire, Executive Director of the Kering Foundation. Photo: Jean Luc Perreard
Céline Bonnaire. Photo: Jean Luc Perreard

Céline Bonnaire est la directrice générale de la Fondation Kering. Elle représente également la Coalition d’action sur la violence basée sur le genre du Forum Génération Égalité, qui vise à dynamiser l’action et renforcer les engagements, dans le but de faire progresser l’égalité des sexes. Madame Bonnaire cherche avant tout à généraliser l’accès à une gamme de services complets et de qualité pour les survivantes d’actes de violence liée au genre commis à l’encontre des femmes et des filles dans toute leur diversité.

Quelle est la situation en matière de violence basée sur le genre dans le monde et quel a été l’impact de la COVID-19 dans ce cadre ?

Même si la sensibilisation à la violence à l’égard des femmes s’est considérablement accrue ces dernières années, une femme sur trois dans le monde continue de subir des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie, la plupart du temps aux mains d’un compagnon de vie. Les données indiquent que, depuis le début de la pandémie et la mise en place des mesures strictes de confinement, les appels aux lignes d’assistance téléphonique et organisations spécialisées dédiées à la violence domestique ont augmenté de façon alarmante.

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« Ce Forum devrait permettre à chacun de découvrir comment devenir un agent du changement et de comprendre comment promouvoir l’égalité des sexes et l’élimination de la violence basée sur le genre à tous les niveaux. »


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En dépit de l’accroissement de la demande à laquelle elles ont été confrontées, nos organisations spécialisées partenaires ont été forcées de réduire ou d’annuler leurs services, de revoir l’organisation des refuges et du personnel des services d’assistance à des fins de sécurité, et de trouver des moyens de développer de nouvelles ressources et de nouveaux mécanismes afin de lutter contre la violence domestique et autre violence. Tout cela a bien entendu eu un impact direct sur les survivantes de violences : l’accès un à soutien psychologique, à un abri d’urgence, à une aide juridique ou à un rendez-vous médical est devenu beaucoup plus difficile.

Nous constatons également que les femmes ayant survécu à la violence domestique ont du mal à rester financièrement indépendantes et à (re)trouver leur autonomie. Les femmes qui occupent des emplois mal rémunérés et informels sont davantage susceptibles de perdre leur revenu pendant cette période : environ 47 millions de femmes et de filles supplémentaires basculeront dans l’extrême pauvreté en raison de la COVID-19. Cela, bien sûr, a un impact direct sur les femmes survivantes, susceptibles de dépendre encore davantage de leur agresseur, qu’il devient alors plus difficile de quitter. L’absence d’autonomisation économique accroît également la vulnérabilité des femmes et des filles face à la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle.

Nous sommes tourné.e.s vers l’avenir, mais nous devons aussi nous assurer que les organisations spécialisées qui soutiennent les survivantes disposent des moyens et des ressources nécessaires pour continuer à fournir des services complets et vitaux aux femmes.

Pourquoi votre organisation s’est-elle engagée à jouer un rôle de leadership au sein de la Coalition d’action contre la violence basée sur le genre ?

En 2008, le président-directeur général du Groupe Kering, François-Henri Pinault, a créé la Fondation Kering dans le but de mettre fin aux violences à l’égard des femmes. Il souhaitait que le Groupe apporte son soutien à une cause où son travail pourrait réellement changer les choses et nous y travaillons maintenant depuis 13 ans, grâce notamment à la mise en place de partenariats établis avec des organisations féministes au cœur de notre stratégie.

Notre ambition consiste à partager notre expérience et notre réseau, à étendre nos efforts à grande échelle et à inciter un plus grand nombre d’entreprises à nous rejoindre et à lutter contre la violence basée sur le genre. Nous croyons fermement que chacun a un rôle à jouer dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes, et c’est pourquoi l’un des principaux objectifs de la Fondation Kering consiste à rallier d’autres acteurs afin de mener une action collective. Il s’agit de la même approche de coopération multipartite que celle sur laquelle reposent les Coalitions d’action, ce qui explique pourquoi il a semblé naturel de devenir une cheffe de file.

Les conversations régulières et inclusives qui ont lieu entre les leaders de notre Coalition d’action visent à briser les cloisonnements, à écouter les points de vue des uns et des autres et à adopter une perspective à long terme. Il ressort clairement de ces discussions que les organisations qui luttent contre la violence à l’égard des femmes sont toutes confrontées aux mêmes défis, notamment à des réticences et à un manque de moyens financiers et de capacités. Cette constatation nous a conduit.e.s à établir des ambitions très concrètes. Nous avons défini des objectifs, des cibles et des indicateurs clairs, et nous nous engagerons à nous attaquer à ces obstacles. Je suis convaincue que nous apporterons des changements efficaces et transformateurs, notamment en adoptant une approche intersectionnelle, pour les femmes et les filles dans toute leur diversité.

Quels sont les changements les plus urgents à apporter en matière de violence basée sur le genre, et quelle(s) action(s) sera/seront les plus à même d’accélérer le changement ?

Je pense que les quatre actions clés conçues dans le cadre de notre Coalition d’action mettent en avant les besoins les plus urgents, notamment la nécessité d’avoir un plus grand nombre d’États qui ratifient les conventions internationales et régionales, et d’acteurs des secteurs public et privé qui adoptent des plans d’action visant à mettre fin à la violence basée sur le genre. Nous cherchons également avant tout à mettre en œuvre et à financer des stratégies de prévention fondées sur des données probantes, en particulier celles qui obtiennent des résultats auprès de la jeune génération afin de mettre fin aux cycles intergénérationnels de violence et d’inciter les hommes et les garçons à participer à la conversation.

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« Mon acte #ÉgalitéOnAgit consiste à poursuivre la lutte contre la violence à l’égard des femmes, en soutenant les survivantes et en mettant en œuvre des programmes de prévention efficaces.  »


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Nous insistons également sur le fait qu’il est urgent de transformer les financements.

Si tout le monde s’accorde à dire que les organisations de défense des droits des femmes requièrent davantage de fonds, lorsqu’on regarde où va l’argent, les organisations dirigées par des femmes et des filles ne reçoivent que sept pour cent des sommes allouées à des fins philanthropiques dans le monde.

C’est pour cette raison que nous nous efforçons d’accroître et d’améliorer la flexibilité et la qualité des fonds alloués par les États, le secteur privé et d’autres donateurs aux organisations dirigées par des filles et des femmes, ainsi que d’élargir et d’améliorer le financement des services coordonnés dédiés aux survivantes de violences.

Qu’attendez-vous du Forum Génération Égalité qui se tiendra à Paris du 30 juin au 2 juillet ?

Un résultat important serait de réussir à obtenir un ensemble d’engagements concrets en faveur de l’égalité des sexes de la part de divers participants. Certes, chaque Coalition d’action dispose de son propre groupe de leadership, mais il est temps que de nouveaux mobilisateurs d’engagement se joignent à l’initiative et contribuent à faire changer les choses. En particulier, il est indispensable d’impliquer davantage d’entreprises et de les inciter à prendre des mesures en vue de mettre fin à la violence basée sur le genre.

Ce Forum devrait permettre à chacun de découvrir comment devenir un agent du changement et de comprendre comment promouvoir l’égalité des sexes et l’élimination de la violence basée sur le genre à tous les niveaux. J’espère qu’une attention et un soutien accrus seront accordés aux organisations axées sur les besoins et dirigées par des survivantes dont la mission est de garantir aux survivantes l’accès à des services et à des soins holistiques et complets. Nous sommes capables d’agir au niveau personnel et sociétal, en faisant du bénévolat ou des dons à des organisations de défense des droits des femmes, ainsi qu’en sensibilisant le public à l’importance du travail qu’elles accomplissent et aux ressources qu’elles fournissent.

Au niveau institutionnel, conformément à la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du Travail, je souhaiterais voir la mise en œuvre de systèmes internes visant à soutenir les survivantes de violences domestiques – y compris des formations permettant de comprendre les complexités de cette violence et son impact sur le lieu de travail, ou des politiques internes qui présentent les mesures concrètes existantes.

Qu’est-ce qui vous motive personnellement à continuer de chercher à promouvoir le changement ?

D’un point de vue professionnel, la résilience et la force des femmes survivantes n’ont pas cessé de me stupéfier depuis le premier jour. Je continue à faire ce travail parce que je pense qu’il est important de soutenir ces femmes si l’on veut avancer dans la bonne direction et parce que j’aspire à un avenir où plus aucune femme n’aura à subir de violences.

Dans ma vie personnelle, j’ai deux enfants : un garçon et une fille. Je les élève comme des féministes, mais je peux clairement voir à quel point les stéréotypes préjudiciables commencent tôt et toute la difficulté de faire passer des messages d’équité entre les sexes à la maison pour contrer les messages entendus à l’école, dans les programmes télévisés, les jeux vidéo, etc. C’est très difficile d’essayer de maintenir un équilibre et je souhaiterais voir ces normes de genre évoluer.

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