Autonomiser les femmes dans le monde

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Discours prononcé par Mme Michelle Bachelet, Secrétaire générale adjointe et Directrice exécutive d'ONU Femmes, au cours du déjeuner du Women's Foreign Policy Group, à New York, le 28 avril 2011.

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Merci. C'est un grand plaisir pour moi de me trouver ici. Je sais que chacun d'entre vous aura beaucoup à dire sur l'autonomisation des femmes et le leadership des femmes, sur la base de vos expériences diverses dans tous les milieux — que ce soit dans le domaine universitaire, le secteur privé ou les relations internationales.

Je n'ai par conséquent pas besoin de vous préciser que, quel que soit le milieu, l'autonomisation de la femme exige de surmonter un certain nombre d'obstacles — y compris les stéréotypes sexistes qui assignent des responsabilités disproportionnées aux femmes au niveau de l'entretien du foyer, le risque de violences dans les endroits publics, la formation et l'éducation inadéquates pour entrer en compétition égale pour les meilleurs emplois ou accéder aux marchés mondiaux — et, au sein des ménages et des communautés pauvres en particulier, l'incapacité à penser au-delà des besoins de survie quotidiens.

En élaborant son nouveau Plan stratégique, ONU Femmes a identifié l'autonomisation économique des femmes ainsi que la participation et le leadership politiques des femmes comme deux des cinq priorités thématiques liées entre elles — avec la fin de la violence contre les femmes et les filles et la pleine participation des femmes aux processus de paix et postconflictuels ainsi que la planification nationale du développement. Dans mes remarques d'aujourd'hui, je me focaliserai principalement sur l'autonomisation politique, en évoquant la représentation des femmes à différents niveaux ainsi que dans les transitions démocratiques et les situations postconflictuelles.

Permettez-moi tout d'abord d'indiquer que le fait d'augmenter le nombre de femmes aux postes de leadership est un signe de leur autonomisation, et non pas un substitut à celle-ci. En terme de participation politique, par exemple, l'élection à une charge publique reflète la capacité à consulter l'électorat et à élaborer un ensemble de questions autour desquelles il sera possible de mobiliser le soutien ; cela implique de recueillir des fonds et, dans de nombreux cas, de surmonter l'hostilité, parfois même la violence. Surtout, cela reflète la détermination et la conviction que la participation des femmes au leadership politique est nécessaire à des sociétés saines et durables.

Dans le même temps, toutefois, les gouvernements peuvent faire beaucoup pour assurer les conditions nécessaires à l'égalité — depuis l'élimination des dispositions juridiques discriminatoires — dans les codes de la famille, les codes électoraux, les codes pénaux, etc. — jusqu'à la fourniture d'un niveau de base de sécurité physique et sociale et à l'accès des services essentiels.

Un des moyens ayant fait ses preuves par lesquels les gouvernements peuvent appuyer la parité entre les sexes est l'adoption de mesures temporaires spéciales, telles que les quotas de représentation des femmes. Actuellement, sur les 26 pays dans lesquels la part des sièges parlementaires occupés par les femmes a atteint au moins 30% - pourcentage reconnu comme la « masse critique » nécessaire pour assurer le leadership sur les priorités législatives des femmes — au moins 23 ont adopté une forme ou une autre de système de quota.

Le facteur clé pour l'adoption de telles mesures est la volonté politique. Mais la volonté politique prend de nombreuses formes différentes. Au Chili, par exemple, où les quotas n'ont jamais été populaires, j'ai compris qu'une des choses que je pouvais faire en tant que Présidente était de nommer un nombre égal de femmes et d'hommes aux postes des cabinets, ce que j'ai fait immédiatement. Si, ultérieurement, cela a dû être quelque peu remanié, le message était clair : les femmes sont qualifiées et à même d'accomplir les tches au même niveau que les hommes.

Reconnaissant le fardeau particulier que les femmes supportent lorsqu'elles doivent déterminer leurs choix de vie, en raison du manque de temps, mon gouvernement a également mis en place un réseau extensif de centres éducatifs et de soins aux enfants gratuits, notamment pour les ménages pauvres, afin que les femmes puissent travailler à plein temps ou participer aux organisations communautaires ou aux partis politiques tout en étant assurées que l'on s'occupe bien de leurs enfants.

En fait, la réalité est qu'il est difficile de séparer l'autonomisation économique et politique des femmes, depuis qu'elles vont de concert. D'une part, les femmes ont plus de chance d'accéder à des rôles de leaders si elles ont un certain degré d'autonomie économique ; d'autre part, le fait de compter un plus grand nombre de femmes à des postes de leaders augmente leurs capacités à sécuriser des politiques qui font avancer l'autonomisation économique des femmes dans différents secteurs.

Sur ces deux points, toutefois, il reste encore un long chemin à parcourir, malgré certains progrès réalisés.

Au niveau mondial, la représentation des femmes dans les assemblées nationales est légèrement supérieure à 19%, contre 11% en 1995. Aux Etats-Unis, la part des femmes est seulement de 17%, malgré un nombre record de femmes candidates aux élections intérimaires. On compte seulement 19 femmes chefs d'Etats ou de gouvernements, et les femmes n'occupent que 4% des postes ministériels dans le monde.

Si la part des femmes dans l'emploi rémunéré est désormais de 41%, les meilleurs emplois sont toujours réservés aux hommes ; au niveau mondial, seul un cadre supérieur sur cinq est une femme, contre un sur quatre il y a deux ans ; aux Etats-Unis, seulement 15% des cadres supérieurs sont des femmes, tandis que ce chiffre s'élève à moins de 10% dans certains pays. Et cela, malgré le fait que l'augmentation de la participation des femmes à la force de travail et l'accroissement du revenu de celles-ci génèrent une croissance économique supérieure et ont un impact positif sur les performances au niveau de la santé et de l'éducation.

L'accent mis sur le leadership politique national des femmes peut souvent masquer l'importance de leur leadership au niveau local, où sont prises des décisions qui touchent leurs vies quotidiennes. C'est également au niveau local que la plupart des femmes atteignent en premier lieu leur autonomisation politique — en grande partie grce à leur participation aux organisations de la société civile, où elles organisent des services allant de l'eau salubre et l'assainissement jusqu'à des centres de soins aux enfants abordables et à une application effective de la loi.

Les groupes communautaires locaux de femmes jouent également un rôle important pour appuyer les femmes candidates à une élection — et pour exiger la responsabilité de ceux qu'ils ont aidé à élire, en s'assurant que leur leadership s'appuie sur une fondation solide et est en contact avec leur base sociale.

Un des facteurs les plus importants de l'autonomisation politique des femmes est la fourniture d'espaces leur permettant de s'engager efficacement avec leurs gouvernements, afin qu'elles puissent négocier en faveur de priorités en matière d'égalité des sexes dans les processus législatifs et dans la planification des décisions. C'est une priorité primordiale dans les transitions démocratiques, comme celles qui se déroulent dans les pays de toute la région des Etats arabes.

En Tunisie et en Egypte, par exemple, les femmes ont joué un rôle actif dans les protestations populaires qui ont mené à l'avènement de gouvernements de transition —tant en étant présentes en premières lignes qu'en mobilisant les médias sociaux. Elles ont également joué un rôle actif en faveur de l'inclusion de priorités en matière d'égalité des sexes dans les réformes constitutionnelles et juridiques, citant le besoin d'amender les lois en vue d'assurer l'équité au niveau des droits de propriété, l'accès aux opportunités d'emploi et une plus grande participation politique. Dans les deux pays, toutefois, elles ont été largement exclues de la prise de décisions transitionnelle, au moins aux étapes initiales.

Heureusement, en Egypte, malgré certaines préoccupations sur le fait que le quota de 12% de représentation des femmes au sein du parlement pourrait être révoqué, celui-ci a été retenu dans les projets d'amendements aux lois complémentaires à la constitution annoncées en mars. Et en Tunisie, il a été annoncé que le Conseil électoral a adopté une loi électorale instituant la parité des sexes au sein de l'Assemblée constituante qui sera élue en juillet. Cette assemblée doit rédiger une nouvelle constitution, nommer un nouveau gouvernement intérimaire, et agir comme parlement lorsque cela est nécessaire.

Toutefois, la vitesse de la transition favorise les groupes déjà organisés, notamment en Egypte. Suite à des consultations avec une large palette d'organisation de femmes et d'autres organisations de la société civile, y compris de nombreux groupes locaux, ONU Femmes appuie l'organisation des femmes, rassemblant différents groupes afin de parler d'une seule voix, et se mobilisant en faveur de leur participation significative dans les processus transitionnels actuels.

D'ici à l'élection qui aura lieu en Egypte en septembre, ONU Femmes aide les groupes de la société civile et de défense des droits des femmes à organiser une convention nationale des femmes, fournissant aux femmes urbaines et rurales un espace leur permettant de se réunir pour exposer leurs exigences et élaborer une plateforme des priorités en matière d'égalité des sexes, qu'elles pourront présenter aux législateurs et aux nouveaux partis politiques émergeants.

Dans les deux pays, les femmes ont également recherché un appui au renforcement des capacités afin de leur permettre d'influencer les organes directeurs pendant la transition et de participer à l'élaboration des cadres constitutionnels, juridiques, sociaux et institutionnels. Elles ont reconnu le besoin de mettre en place des mécanismes de responsabilité en vue d'exiger une meilleure fourniture de services et l'inclusion des préoccupations des femmes dans la planification publique et la prise de décisions, y compris les politiques pour l'emploi et la réduction de la pauvreté.

Un grand nombre de ces mêmes questions se posent dans les situations de paix et postconflictuelles. Et jusqu'à l'adoption de la résolution 1325 du Conseil de sécurité, les femmes et les droits des femmes ont été largement exclus des institutions de paix et de relèvement et de la prise de décisions. La résolution 1325 a été révolutionnaire à cet égard, reconnaissant d'abord que l'expérience que les femmes ont de la guerre et de la crise est différente de celle des hommes, et en second lieu que les femmes d'une nation sont une source de consolidation de la paix qui n'est pas mise à profit.

Au cours des 11 années qui ont suivi son adoption, les résolutions additionnelles ont fait beaucoup pour considérer les femmes comme victimes des conflits, reconnaissant la responsabilité de la communauté internationale pour ce qui est de prévenir et de répondre à la violence sexuelle en période de conflit et d'affirmer qu'il ne peut y avoir d'impunité pour ceux qui excusent ou commettent de tels crimes. Au niveau du rôle joué par les femmes en tant qu'agents et leaders du règlement des conflits et de la consolidation de la paix, les progrès ont été beaucoup moins impressionnants.

Certains d'entre vous savent peut-être qu'au cours de la première Assemblée générale des Nations Unies en 1946, Eleanor Roosevelt a souligné que les femmes devaient se voir donner l'opportunité de partager le travail de la paix et de la reconstruction, comme elles l'avaient fait pendant la guerre et la résistance. Pourtant, 66 ans plus tard, le « travail de la paix » est toujours principalement mené à bien par les hommes. ONU Femmes a fait des recherches sur 24 processus de paix ayant eu lieu depuis le milieu des années 1990, et conclu que les femmes ne constituaient en moyenne que moins de 8% des équipes de négociation. Et, à ce jour, aucune femme n'a été nommée médiatrice en chef d'un processus de paix géré par les Nations Unies.

Dans les situations postconflictuelles, où les besoins et les points de vue des femmes peuvent facilement être ignorés, il est crucial d'assurer la représentation politique des femmes. Les quotas électoraux sont une fois encore la manière la plus efficace de le faire — dans de tels systèmes, 34% des représentants élus étaient des femmes, tandis que dans les pays sans quotas, les femmes ne constituaient que 12% de ces représentants.

Je suis heureuse de vous indiquer que le Plan d'action du Secrétaire général des Nations Unies pour une consolidation de la paix tenant compte des questions de genre, publié l'an dernier, et que le système des Nations Unies dans son entier s'est engagé à appuyer, comporte un certain nombre de mesures pour faire face à ces problèmes. Celles-ci incluent une exigence en vertu de laquelle 15% au moins des dépenses des Nations Unies doivent être consacrées à des objectifs en matière d'égalité des sexes, ainsi que des changements institutionnels pour faire progresser l'autonomisation des femmes par le biais du relèvement économique et des interventions de l'Etat de droit.

ONU Femmes œuvre à augmenter sa présence sur le terrain en vue de répondre aux appels à l'appui émanant des groupes de défense des droits de la femme. Un objectif principal est de développer l'influence politique et la capacité institutionnelle des organisations de femmes, dont beaucoup ont subi de graves dommages pendant les années de conflit. Nous nous mobilisons également pour la création d'un mécanisme international visant à appuyer la participation institutionnelle des femmes, en assurant des experts à disposition qui peuvent travailler avec les femmes locales en vue de faciliter leur participation aux processus officiels.

Ce dont nous parlons n'est pas uniquement d'appuyer l'engagement des femmes dans la médiation et le règlement des conflits, mais aussi en faveur de l'implication directe des femmes et des spécialistes de l'égalité des sexes dans toutes les institutions transitionnelles.

Pour faire progresser l'autonomisation des femmes, l'attention doit également se focaliser sur les espaces publics, notamment dans les zones urbaines. Si la plus grande partie de cette attention s'est concentrée sur la violence urbaine, il est important de reconnaître que les villes peuvent également offrir aux femmes comme aux hommes de nouvelles opportunités d'autonomie et d'autonomisation, les libérant des restrictions imposées à leurs choix de vies propres à leur sexe.

Pour réaliser ce potentiel, ONU Femmes et ONU-HABITAT ont formé un partenariat afin de réunir les responsables de la planification publique, de la police et autres responsables municipaux avec les groupes de femmes en vue de s'assurer que les rues, les quartiers et autres endroits publics sont des espaces où les femmes et les filles bénéficient d'une plus grande sûreté et sécurité personnelles, et ont le droit de profiter des villes et des opportunités qu'elles offrent. Ce faisant, elles peuvent montrer comment une plus grande participation des femmes à la vie publique et politique peut aider à transformer les normes sociales et publiques sur le rôle et les contributions des femmes à la vie publique.

Enfin, l'autonomisation des femmes dépend toutefois de la fin de toutes les formes de violences contre les femmes et les filles, y compris au sein des foyers privés et des écoles et sur le lieu de travail. Ici aussi, nous voyons un certain élan en faveur du changement, les dirigeants politiques et d'entreprises commençant à faire les comptes. Aux Etats-Unis, par exemple, on estime que les coûts entraînés par la violence contre les femmes s'élèvent à 5,8 milliards de dollars E.U. par an en termes de soin de santé et de santé mentale supplémentaire et de perte de productivité ; au Canada, pays qui compte une population beaucoup moins importante et a des dépenses de soins de santé moins élevées, le total atteint malgré tout 1,16 milliard de dollars E.U..

Pour les gouvernements, les éducateurs et les entreprises de tous les pays, c'est le moment de se réveiller. Ces derniers doivent prendre des mesures en vue de faire appliquer les lois contre la violence domestique qui existent maintenant dans plus de 130 pays, en permettant aux femmes elles-mêmes de provoquer des changements dans leurs propres conditions politiques. En ONU Femmes, elles peuvent compter sur un partenaire engagé.